Trois d’entre eux, au moins, ont les mains souillées de sang. On dit qu’ils étaient « rocambolesques » ou « excentriques ». Leur vie a fourni matière à plusieurs romans, pièces musicales et de théâtre, ou scénarios pour longs métrages. Nos arrières grands-parents les ont peut-être découverts avec Shakespeare, Hugo ou Dumas. Nos grands-parents ont pu les voir interprétés au théâtre et nos parents au cinéma, dans plusieurs adaptations hollywoodiennes.
Nous-mêmes – à moins de vivre sous cloche –, n’avons pas pu passer à côté d’un film récent, suivi d’une série à succès en quatre saisons (!), diffusée sur Canal+ et Arte. Ils sont un peu nos Rois maudits ou les Borgia des Italiens, tellement leur vie a été montrée sous toutes les coutures…
S’ils sont si populaires de part et d’autre de la Manche, c’est d’abord parce qu’ils firent du royaume d’Angleterre une grande puissance européenne. Les Anglais en sont fiers, même si leurs mœurs et leurs politiques étaient quelquefois dénuées de toute morale, et que sous leurs règnes les finances du royaume étaient souvent exsangues. Eux, bien sûr, ce sont les rois et les reines de la dynastie Tudor. Ils gouvernèrent de 1485 à 1603, d’Henri VII à Elisabeth Ière.
Pour la première fois en France une exposition leur est consacrée, elle se tient au musée du Luxembourg (1). Elle a été conçue en partenariat avec la National Portrait Gallery de Londres, qui détient la collection la plus complète des portraits de la famille Tudor.
Pendant tout le XVIème siècle, cinq Tudors ont régné sur l’Angleterre et marqué profondément l’histoire de leur royaume. Le fondateur de la dynastie, Henri VII, mit fin à trente ans de guerre civile en unifiant par un mariage (le sien) deux familles ennemies : les York et les Lancaster. Son fils Henri VIII, dont la réputation est indissociable de sa vie conjugale scandaleuse, rompit avec l’Eglise catholique pour pouvoir répudier librement sa première femme, Catherine d’Aragon, et épouser la deuxième (sur six), Anne Boleyn. Sous Edouard VI et Marie Ière, le pays se déchira entre protestantisme et catholicisme. Enfin, la dynastie connu son âge d’or avec Elisabeth Ière la « Reine vierge », mais s’éteignit avec elle.
L’exposition du musée du Luxembourg s’ouvre sur un extrait du premier long métrage (1912) sur Elisabeth Ière (avec Sarah Bernhardt dans le rôle titre), adapté d’une pièce de théâtre. L’intérêt des Français pour les Tudors, nous explique-t-on, date du XIXème siècle et du Romantisme. Le désespoir d’Anne Boleyn, enfermée dans la Tour de Londres et qui finit décapitée, a été représenté plus de trois siècles après les faits sous le pinceau du peintre historiciste et romantique français Edouard Cibot. Le peintre a donné à cet épisode malheureux autant d’importance qu’à un grand événement historique. La toile est belle, certes, mais on apprécie davantage les portraits des Tudors réalisés de leur vivant.
L’un des plus spectaculaires est certainement le portrait en pied du roi Henri VIII, exécuté d’après Hans Holbein le Jeune et qui sert d’affiche à l’exposition. L’original, qui avait été réalisé pour la chambre du roi à Whitehall, faisait partie d’une vaste fresque qui a malheureusement disparu dans un incendie. On y voit un Henri VIII austère et déjà obèse, campé sur ses jambes qu’il avait difformes à cause d’une grosseur au mollet, mais dont il était fier, dit-on. Il n’en reste pas moins que le portrait impressionne. On y reconnaît sans aucun doute possible le cruel « Barbe bleue » de la légende… Mais cette seule référence serait faire injure à l’homme cultivé et amateur d’art qu’il était. A l’image de son contemporain François Ier, il vécu comme un homme de la Renaissance, étant à la fois musicien, poète et mécène.
Hans Holbein, qui avait obtenu un statut de peintre à la cour, a réalisé plusieurs portraits de la famille royale, dont celui, magnifique du fils d’Henri VIII, Edouard VI, que vous verrez dans l’exposition. Pour l’anecdote, après le décès de Jane Seymour, Henri VII voulut une nouvelle épouse. On choisit pour lui Anne de Clèves, qu’il n’avait jamais vue. Le roi demanda à Holbein de courir en Flandres croquer le portrait de la belle… ou de celle qu’il croyait telle. Holbein commit un portrait plus beau que nature (Anne de Clèves avait le visage rongé par la variole). Las ! Le roi, lorsqu’il rencontra sa promise, la trouva trop laide. Le mariage se fit quand même mais ne fut pas consommé, et le divorce prononcé au bout de quelques mois. Finalement, l’Histoire retiendra que la princesse disgracieuse, que son mari surnommait « la jument des Flandres », ne s’en tira pas si mal. Elle obtint l’exil dans un château assorti d’une généreuse pension et sauva sa vie, ce qui ne fut pas le cas de deux autres de ses épouses, toutes deux décapitées. Le portrait d’Anne de Clèves (1539-1540) par Holbein fait partie des collections du musée du Louvre.
Autre temps autres mœurs, après le règne de Marie Ière « la Sanglante » (d’où le nom d’un cocktail bien connu…), advint celui d’Elisabeth Ière. La reine, qui était la fille qu’Henri VIII eut avec Anne Boleyn, décida de se marier… avec son royaume. Elle l’épousa pour quarante-quatre ans de règne. La reine, adorée de ses sujets, éconduit nombre de prétendants (dont deux princes de la cour de France, fils de Catherine de Médicis). De très beaux portraits de la souveraine occupent une salle entière de l’exposition. Et c’est là, sans doute, le clou du spectacle. L’Anglais Nicholas Hilliard en a peint deux magnifiques dont le « Le Portrait au phénix » (vers 1575). Orfèvre de formation, Hilliard a rendu avec une grande minutie le velouté des perles et les détails extrêmement compliqués de l’habit de la reine, qui pose dans toute sa grandeur… et sa féminité. Celle qui déclara avoir « le cœur et l’estomac d’un roi » pour mettre en garde l’envahisseur espagnol, n’en était pas moins une femme qui appréciait fort la compagnie des hommes. Mais elle n’en choisit aucun et n’eut pas de descendance. La couronne d’Angleterre s’en est allée, ironie du sort à Jacques, le fils de celle qu’elle fit décapiter car elle menaçait son trône : sa cousine Marie Stuart. C’est même Elisabeth qui le désigna, quelques temps avant de rendre son dernier souffle.
Valérie Maillard
Les Tudors, musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, Paris. Jusqu’au 19 juillet.
(1) Depuis 2010, le Sénat délègue la gestion du musée du Luxembourg à la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, lui donnant pour consigne de privilégier trois axes de programmation en lien avec son histoire : « la Renaissance en Europe », « Art et pouvoir » et « le Palais, le jardin et le musée : le Luxembourg au cœur de Paris, capitale des arts ». Ce n’est pas toujours le cas, mais l’exposition « Tudors » s’inscrit dans deux des axes : « la Renaissance en Europe » et « l’Art et le pouvoir ».
On peut ajouter que les amoureux d’opéra sont familiers des Tudor grâce à Rossini (Elisabetta regina d’Inghilterra 1815) et surtout Donizzetti (Anna Bolena 1830 , Maria Stuarda 1835, Roberto Devereux 1837 qui sera repris au Metropolitan Opera l’an prochain).
Et que l’impressionnant portrait en pied de Henry VIII qui sert effectivement d’affiche à l’exposition est accompagné du commentaire suivant: le dramaturge Samuel Rowley mit le roi en scène en 1605 dans une pièce où il lui fait dire: « When you see me, you know me ».
En effet….
Lise Bloch-Morhange
Merci chère lectrice pour ce complément d’information concernant les opéras dont on pu faire l’objet les Tudors.
Pour Henri VIII, le voir c’est le connaître en effet. Il faut dire qu’Holbein a su camper à merveille la puissance physique du roi ainsi que son ambition… à tous niveaux. « Toutes les richesses du monde ne seraient suffisantes pour satisfaire et contenter son ambition » disait de lui l’ambassadeur de France Charles de Marillac.
Riche article, merci. S.
Je vous remercie.