Sur le livre d’or mis à la disposition des visiteurs de la Cinémathèque, on peut lire ces quelques mots, écrits d’une main adolescente : «voyage sentimental», suivis d’un petit cœur, comme pour souligner le propos. Le jeune homme ou la jeune fille qui a ainsi laissé une marque de son passage à la cinémathèque française a sans doute trouvé la meilleure formule pour résumer la tonalité de l’exposition consacrée au réalisateur Michelangelo Antonioni.
Largement récompensé de son vivant (deux Lions d’or à Venise, dont l’un pour l’ensemble de son œuvre, une palme d’or à Cannes pour Blow Up), le cinéaste disparu le même jour qu’Ingmar Bergman, en 2007, n’a pas toujours connu les faveurs de la critique ou du public. Adulé par l’avant-garde de l’époque lors de la sortie de L’Avventura (1960), rejeté par d’autres pour obscurantisme, Antonioni représente une étape essentielle dans l’art cinématographique de la deuxième moitié du XXe siècle. Faut-il pour autant situer son œuvre « aux origines du pop » comme le suggère le titre de l’exposition organisée par l’ancien directeur de la Cinémathèque Dominique Païni ? Ce parti pris se justifie sans doute par des films aussi marquants que Blow Up, mais l’intitulé est assez réducteur de l’esthétique d’un Antonioni se complaisant dans le brouillard de l’incommunicabilité ou l’imminence d’une catastrophe, plus soucieux de mettre en évidence l’étrangeté du monde que de tenter d’y apporter un remède.
L’Avventura (1960), reçu par une salle houleuse à Cannes, et qui suscita de nombreux débats contradictoires, marque une rupture et offre au public mais aussi aux professionnels, la possibilité d’un nouveau langage. Avec La Notte, L’Eclipse, puis Le Désert rouge, le cinéaste s’impose par ses descriptions d’un monde désabusé aux contours imprécis, univers sans repères où l’ennui baudelairien tient lieu de métaphysique.
L’exposition de la Cinémathèque, riche des documents personnels du cinéaste, met en évidence l’originalité d’un talent qui s’exprimait également par la peinture, avec laquelle Antonioni a entretenu des relations très intimes, même s’il ne se définit que comme « un cinéaste qui fait de la peinture ». Le parcours est ainsi judicieusement ponctué de toiles de Chirico, Rothko ou Schifano (extraordinaire fresque Tutti Morti, en relation avec le film catastrophe d’un nouveau genre Zabriskie Point, 1970). Quel que doit le propos du film, l’image est travaillée, recherchée, et peu importe si le réalisateur déclara un jour se laisser guider par le hasard : il n’y a rien de gratuit chez cet architecte de la lumière qui déclarait avoir « toujours envie de voir la face cachée de ce qu’on voit à l’œil nu ».
Pour dense et diverse qu’elle soit, l’exposition pourra dérouter le visiteur qui connaîtrait mal Antonioni, ou n’aurait vu qu’un de ses films ( Blow Up, le plus souvent). Elle devrait alors donner envie de visionner les films programmés par la Cinémathèque pour la circonstance. En revanche, tous ceux qui ont suivi l’itinéraire d’Antonioni, depuis les brumes de Ferrare, où le cinéaste est né en 1912, jusqu’à l’érotisme discret d’Identification d’une femme (1982), découvriront la face intime de l’artiste peintre : sa “Montagne enchantée“, une réunion de ses œuvres picturales occupe tout un mur de la salle.
Un regret pourtant, et il est de taille : Profession : Reporter (1975) qui nous apparaît comme son œuvre la plus aboutie et sur laquelle le réalisateur avoue lui-même avoir travaillé « avec acharnement », n’est que très peu évoqué. Seule une scène de quelques minutes, lorsque le 4/4 de Jack Nicholson s’enlise dans les sables du désert et quelques photos du tournage, notamment avec Maria Schneider, pour la scène tournée en Andalousie. Rien sur le thème du héros, un journaliste qui change d’identité et ainsi de destin. On se consolera avec le petit documentaire de 15 minutes dans lequel le réalisateur commente la fameuse dernière scène du film, un plan séquence unique de 7 minutes d’un extraordinaire poésie, en même temps qu’une véritable prouesse technique dont nous aimons à penser qu’il doit faire obligatoirement partie du programme d’un étudiant d’une école de cinématographie.
Gérard H. Goutierre
La Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, 75012 Paris. Jusqu’au 19 juillet.
Profession reporter: je ne me suis jamais lassé des premières séquences dans le désert. S.
Erratum: Profession: Reporter date de 1975, pas 85
Merci c’est corrigé!
Dans « Profession Reporter », il y a une exécution capitale… et une grosse polémique car le doute subsiste… Antonioni a-t-il filmé une VRAIE exécution ou un simulacre ? Avec tout ce que cela suppose de « morale »…
En tout cas, on attend toujours le prochain Antonioni… Si l’on excepte Bresson, Tarkovski et deux ou trois autres selon les goûts, le cinéma n’a connu qu’une poignée de « vrais » stylistes face à une nuée de formalistes…
Tiens, aujourd’hui sort le nouveau film de Roy Andersson, voilà quelqu’un qui mériterait l’attention des Soirées de Paris… Je crois qu’Apollinaire aurait aimé ce Suédois…
(les courageux pourront lire mon article sur « Froggy’s Delight »)