Malgré sa « gueule cassée » le jeune homme essaie de faire bonne figure devant l’objectif. Il s’agit d’un soldat revenu du front qui a subi une opération de chirurgie maxillo-faciale dans un hôpital militaire canadien-français situé sur l’hippodrome de Saint-Cloud. Au musée des Avelines à Saint-Cloud, une exposition évoque cette présence de nos cousins francophones durant la première guerre mondiale.
De nombreux automobilistes empruntent cette longue avenue du Camp Canadien à Saint-Cloud sans se poser davantage de questions. Elle longe un vaste hippodrome, véritable poumon vert dont profitaient les poilus convalescents, surface qui est actuellement sous la menace d’une sorte de hold-up d’Etat (1) à des fins urbanistiques.
Cette fort remarquable exposition enseigne ainsi aux visiteurs, Clodoaldiens (les habitants de Saint-Cloud) ou non, un pan méconnu de l’histoire de la ville. La scénographie est presque entièrement conçue à partir de fonds photographiques issus de cartophiles et de la collection d’un historien canadien, Michel Litalien.
A quarante mètres d’altitude, loin des fumées de la capitale toute proche, les soldats blessés profitaient non seulement de soins de médicaux de pointe pour l’époque comme la radiologie, la transfusion sanguine ou la chirurgie de reconstruction, mais aussi d’un cadre réconfortant. Ils pouvaient y bénéficier de spectacles et également de repas roboratifs. Une photo montre d’ailleurs les livraisons de vin, boisson sans laquelle il n’est pas de rétablissement complet pour un soldat Français. La salle des infirmières semblait, du moins sur l’un des clichés présentés, appréciée des sous-officiers.
L’ambiance est au soulagement. Sur les marches de l’hippodrome, les blessés se reposent au milieu d’un fatras de béquilles, de civières et de couvertures. Les éclats d’obus ont fait beaucoup de dégâts. Sur une carte postale agrandie pour les besoins de l’exposition, un soldat sur deux a le visage mangé par un pansement. Au milieu d’eux, comme sur une photo de classe, une infirmière canadienne à coiffe pose.
Grâce à la grande mode des cartes postales, l’illustration de la guerre est copieuse et ce focus sur le Camp Canadien n’en est que plus riche d’enseignements. Devant le photographe, les soldats crânent, même s’ils ont un membre en moins. La détresse était, à l’époque, politiquement incorrecte et donc visée par la censure. C’est donc dans la joie que l’on y voit l’édification d’un bonhomme de neige. Les douleurs n’apparaissent même pas en négatif tout au long du parcours. Mais parfois les visages sont muets, le silence étant le dernier réduit de l’éloquence.
PHB
Au musée des Avelines, 60 rue Gounod, Saint-Cloud. Jusqu’au 12 juillet. (Les avelines sont de petites noisettes clodoaldiennes)
(1) Un hippodrome en danger
C’est par la presse que le maire de Saint-Cloud a appris écrit-il, l’existence d’un projet gouvernemental visant à construire 6000 logements sur l’hippodrome. Ce site classé dans sa totalité verrait alors sa surface très largement amputée. Il apparaît que le gouvernement dispose d’un outil extraordinaire pour lever la protection d’un site classé. Il lui suffit de brandir une opération d’intérêt national (OIN) et le tour est joué. Le ministère du Logement, de l’Égalité des territoires et de la Ruralité évoque la nécessité « d’introduire de la mixité au sein d’un territoire très bien desservi ». Le mot mixité est le lubrifiant de base d’une bonne opération urbanistique qui dérange.
Le ministère annonce d’autre part des discussions avec France Galop (propriétaire des lieux) « pour mettre en place un plan de regroupement des activités des hippodromes de l’ouest parisien ». Le chantier s’étalerait jusqu’en 2030 pour, on l’imagine facilement, le plus grand bonheur des riverains. Les maires des communes environnantes s’y opposant, quelque 17000 signatures déjà collectées, le projet semble bien parti pour faire l’unanimité contre lui et contribuer à créer après les ZAD (zone à défendre), les JAD (jardins à défendre), les HAD (hippodromes à défendre). Ce projet est en outre, en singulière incohérence, avec les objectifs vertueux et le plus souvent louables du gouvernement en matière d’écologie et de climat.
Une manifestation est prévue le 1er mai sur le site de l’hippodrome.
Merci, Philippe, pour cet article si riche en informations…
Pour l’Hippodrome de Saint-Cloud, ce ne sera encore qu’un peu de verdure en moins autour de Paris…
Monsieur Arnault a fait disparaître – avec l’aval de tous les supporters des médiocres copiés-collés architecturaux de M.Gehry- une partie du jardin d’acclimatation… Les Serres d’Auteuil sont aussi menacées par les joueurs de raquette…
Nos politiques jouent sur du velours à chaque fois pour segmenter les mécontents et satisfaire leurs amis : art, sport, logement social…
Contre ces Tartuffe, il faudrait des Ravachol… malheureusement, ils ont la tête ailleurs…
A propos d’hippodrome menacé, il faut aussi se rappeler que l’hippodrome d’Auteuil a été récemment morcelé (12 ha) soit disant pour offrir un nouvel espace de promenade aux Parisiens, en réalité parce que la transformation du stade omnisports Jean-Bouin en stade uniquement dévolu au rugby a privé les trois lycées alentour de leurs terrains de sport (5000 élèves par semaine), et qu’on s’est servi du champ de courses d’Auteuil pour y installer des équipements sportifs.
Et l’actuel projet d’extension de Roland-Garros non seulement met en danger le Jardin botanique des Serres d’Auteuil, mais entrainerait à nouveau la disparition d’équipements sportifs servant aux scolaires, cette fois sur le Fonds des Princes, à gauche de l’actuel stade Roland-Garros. D’ailleurs la Fédération Française de Tennis construit actuellement son Centre National d’Entrainement sur le défunt stade municipal Hébert (en face du lycée La Fontaine), qui lui aussi servait aux lycéens.
Et si l’hippodrome de Saint-Cloud a servi de havre de paix aux soldats convalescents, le stade Roland-Garros, lui, a servi de camp d’internement des étrangers pendant la dernière guerre. André Malraux venait y porter des colis à ses amis Manès Sperber et Arthur Koestler.
Lise Bloch-Morhange, porte-parole du Comité de soutien des Serres d’Auteuil