Au nom de quoi…il est interdit

Illustration et photo: PHBFiodor Dostoïevski, dans son roman-feuilleton « Les frères Karamazov » faisait dire ceci à l’un de ses personnages à propos du grand inquisiteur : « Il se vante lui et les siens d’avoir supprimé les libertés dans le dessein de rendre les hommes heureux ». Voilà une phrase à méditer alors qu’une loi sur le renseignement s’apprête à sortir du creuset parlementaire pour accroître les possibilités de surveillance au nom de la sécurité. D’autres fois c’est au nom de la santé, ou de l’éducation.  « Liberté j’écris ton nom », taguait à bon propos Paul Eluard dès 1942.

Sur le moteur de recherche Google, à la mi-mars, le mot « interdiction » ressortait 141.000 fois, « obligation » 5.670.000 fois et le mot « sanction » déclenchait 1.540.000 occurrences. Tandis que le mot « permission » qui n’est pas autre chose qu’une dérogation par rapport à une interdiction avérée ou potentielle, affichait 93 millions de références.

Comme toujours on s’alarme et comme toujours, les libertés rétrécissent quand même à l’exception récente du décret d’interdiction du feu dans les cheminées franciliennes, zigouillé in extremis par Ségolène Royal.

« Refuser l’entreprise de déconstruction des libertés publiques actuellement à l’œuvre est un devoir » écrivait en 2009 Martine Aubry en préambule d’un livre sur le sujet comme l’a rappelé le Monde. Ce même journal qui par ailleurs s’élève comme les autres et à juste titre contre les excès inquisitoriaux mais qui ne voit pas de contradiction à publier les contenus d’écoutes téléphoniques, « au nom de »… l’information.

C’est juste une question de forme. Il suffit d’un objectif louable comme la laïcité par exemple pour proscrire dans le métro la mention « chrétiens d’Orient » sur une affiche publicitaire. Quelques jours plus tard l’interdiction était levée. Au nom de l’histoire et surtout de ceux qu’on « tire comme des lapins » comme l’écrivait Bruno Frappat dans La Croix.

Tous, presque tous, de l’extrême à droite à l’extrême gauche en passant par le centre et les écologistes, font montre d’un zèle constant dans le déploiement ou la volonté de déploiement de nouvelles clôtures. Les lois s’empilent les unes sur les autres, toutes sorties d’une boîte à idées devenue folle. La fessée serait bientôt interdite, on criminalise le vapotage passif, on supprimerait les notes à l’école mais en fait non il ne faut pas y toucher.

En "Une" du Parisien daté 18 avril. Photo: LSDP

En « Une » du Parisien daté 18 avril. Photo: LSDP

Cette loi sur le renseignement n’est du reste pas le vrai sujet tant elle « autorise » ce qui s’est toujours pratiqué en douce. Elle s’inscrit en outre dans un contexte sondagier laissant apparaître qu’une large majorité de Français (près de 70%) est favorable à la réduction des libertés au nom de leur sécurité. Ceux qui nous ont « fait » les 7 et 9 janvier 2015, professionnels névrotiques de la restriction, doivent bien ricaner à la pause, entre deux bains de sang.

Nos libertés, même domestiques, même microscopiques, sont à défendre quel que soit le motif qui inspirerait leur suppression ou leur encadrement. Les derniers espaces de vraie liberté, on les trouve encore dans la culture, la création. Il est toujours possible de composer ce que l’on veut dans à peu près tous les registres artistiques ou littéraires. Churchill disait avec raison que c’était justement pour cela qu’il fallait aller se battre. Au « nom » de la culture.

PHB

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5 réponses à Au nom de quoi…il est interdit

  1. Flourez BM dit :

    Et si en effet tout cela n’était que le prix à payer pour réaliser, à terme, le gouvernement mondial qu’on nous promet ? puisqu’il serait inéluctable et nous rendrait heureux.
    « Nos libertés, même domestiques, même microscopiques, sont à défendre » constamment, parce que chaque arbre peut cacher une grande forêt. A chaque peur correspond une liberté. Prises individuellement, on peut accepter de sacrifier des petites choses, des petites autonomies, des petites capacités, sans même se rendre compte de l’enfermement global dans lequel nous glissons.

  2. Alex dit :

    3 millions de personnes manifestent pour la liberté en janvier et la réponse des politiques est de restreindre la liberté. La France, quoi…

  3. NataliaDryll dit :

    C’est amusant de compter le nombres de panneaux ‘INTERDICTION DE …’ dans Paris. A commencer par les pelouses de nos parcs, squares et autres zones vertes. Prenons exemple sur l’Allemagne, l’Angleterre ou chaque petit coin de verdure vous offre la possibilité d’un moment bucolique. En France, ‘faut pas rêver’…

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