Dans l’idéal, un parisien aimerait émerger dès cinq heures dans sa ville, s’éveiller pour de bon à Stockholm, prendre son petit déjeuner à une terrasse parisienne, enchaîner à neuf heures sur un « power breakfast » à New York, travailler à Londres jusqu’à midi et retourner à Paris déjeuner avec une étrange sensation de satiété.
Cet homme (ou cette femme) qui s’affranchirait donc des distances et du décalage horaire, partirait dès treize heures à la plage via le métro romain mais ferait sa sieste à Madrid afin d’être en forme pour courir les boutiques dès quinze heures à Londres. Inconscient du surmenage qui le guette, il reviendrait à Paris voir une expo avant d’aller boire une bière à Londres qu’il compléterait une heure plus tard, d’un apéritif à Rome.
Bientôt mûr pour l’asile, il filerait à New York écouter un concert pour ensuite écluser un verre sur un « rooftop » d’Istanbul histoire de se creuser l’estomac avant d’ingurgiter des tapas à Madrid qu’il digérerait dès vingt deux heures dans un bar club londonien et se finir après coup dans une orgie moscovite. Il rentrerait enfin chez lui à Paris en taxi jaune avec Robert de Niro comme chauffeur.
Cet épuisant jeu de l’oie résulte d’une étude signée « Happycurious », menée auprès de centaines de parisiens, sur leur « ville rêvée ». Elle a été révélée hier à Paris dans des conditions spatiotemporelles normales et auprès de journalistes parisiens normaux si tant est qu’un journaliste parisien puisse être qualifié de normal.
Commandité par le groupe Mastercard, ce travail qui vise on s’en doute, à mieux cerner les besoins des consommateurs, s’inscrit au moment même où la ville s’enorgueillit des résultats de son appel au peuple intitulé « Madame la maire j’ai une idée ». La municipalité se flatte d’avoir recueilli 5000 réponses pour moins de trois mille participants soit un taux d’abstention record, eu égard aux trois millions d’habitants. Anne Hidalgo fera au passage, un premier bilan de son mandat samedi.
Une fois cartographiés, les fantasmes des personnes interrogées aboutissent sur un plan de Paris des plus farfelus qui serait notamment composé d’un centre ville juxtaposant Les Buttes Chaumont, Central Park, Biergarten (Munich) et Hyde Park. Le quartier du Marais voisinerait avec la Piazza del Popolo (Rome), le musée Picasso serait dans l’East Village, le pont Alexandre III déboucherait sur la mer et ainsi de suite. L’un des vœux de fond serait finalement de pouvoir trouver le monde à sa porte.
Il serait intéressant de comparer ces résultats en interrogeant des moscovites, des romains ou des londoniens afin de voir si la ville idéale n’est finalement pas celle que l’on habite déjà, Paris restant par exemple au top pour ce qui est de déjeuner. Les parisiens aiment leur ville et le manifestent dans cette exploration quantitative et qualitative. Ils apprécient les transports en commun de même que le vélo sans toutefois rejeter la voiture. Ils aimeraient que Paris soit un peu plus excentrique.
L’autre postulat de fond reposerait sur la nécessité d’une belle ville sans péché de mauvais goût (comme la Philharmonie, ndlr) et qui agrégerait une somme d’avantages prélevés ailleurs. Dans ces conditions absolues on aimerait donc un quartier par rapport à tous les autres que l’on chérirait autant.
Réputé râleur, le parisien y perdrait sans doute son âme. Cette ville idéalisée, ancrée dans le beau et dans le festif, nous promet finalement des lendemains béats qui allez savoir pourquoi et toute réflexion faite, ne donnent pas envie. Mais le fantasme ainsi collecté est assez rigolo.
PHB