« Dans l’oubli des tentures, les fronts bas font naufrage au large des pavés ». C’est avec ce genre de composition poétique que l’on se décide à en savoir plus sur quelqu’un et donc de parcourir « L’inconnu cardinal », le mince tout autant que précieux opus de Donia Berriri, alias Achille (par référence à Debussy) à la scène. Son livre qui vient de sortir aux Editions du Cygne produit ces mêmes effets de brise humide qui nettoient nos nuits de leurs suies.
On connaît maintenant à Donia deux façons de s’exprimer en solo, l’écriture et le piano. Dans « L’inconnu cardinal », elle assigne deux missions à sa plume. L’une dans la camp de la prose, avec la ponctuation qui marque les tempo et l’autre plus risquée sans garde-fou, résolument poétique, dans laquelle l’absence de virgules et de points, démontre sa bonne maîtrise de la prosodie.
Celle qu’un jour quelqu’un embrassa « sans dédain », distille au lecteur une poésie liquide, transparente, inquiète et tranquille à la fois. Son écriture est si féminine qu’elle se fait morphine sur les chagrins dissimulés de l’auteur et apaisante par contamination sur les nôtres, que l’on découvre en une sorte de révélation anesthésique.
Au fil des pages, Donia nous emmène du quartier de la Goutte d’or à Tanger (Un drôle de fruit est né/Dans le jardin d’orangers/De la villa Tingitane/Le paradis des mages) jusqu’à des textes plus personnels qui cryptent avec talent les causes d’une mélancolie au long cours. « On a, dit-elle, peut-être trop ici d’un cœur pour deux ».
Sur son CD qu’elle a auto-produit en 2014, l’on retrouve toute la grâce de ses textes qu’après avoir écrits elle chante de sa voix fragile et suave en s’accompagnant au piano de ses mains très sûres. Donia a notamment écrit et composé « L’apatride » et il est remarquable de constater sur ce titre que le piano s’y fait plus volontaire, plus énergique et au final assez efficace. Sa belle lassitude s’estompe alors et notre écoute se réjouit d’un registre nouveau dans lequel elle gagnerait à s’aventurer davantage.
Gageons que son écriture et sa musique, toutes deux délicates, sensibles et aériennes, ne sont qu’une étape pour celle qui a décidé de creuser son propre sillon.
Dans cette attente… « Il paraît que le vent/Souvent tourne à Tanger/Qu’on y reste longtemps/A compter les nuits blanches/ Je n’irai pas au Cap/ Mais je rentrerai tard/ Les semelles imbibées/De ta terre de sienne/Et les mains imprégnées/Du bleu Klein de tes murs »
Et dans cette attente encore, Donia cherche « ardemment la clé de l’horizon, blanc de poudre et de laine« .
PHB
L’inconnu cardinal. Editions du Cygne. 10 euros.
Exquis extraits. S.
quelle joie de lire en avant première ces commentaires élogieux, vivement dimanche !
Magnifique parcours et bien hâte d’être à dimanche.