Guidés par les plaques commémoratives laissées par ses admirateurs, nous sommes allés sur les traces de la vie un peu bohème d’Apollinaire, de Rome à Prague en passant par Monaco, Nîmes ou les Ardennes belges… Il reste à découvrir d’autres lieux essentiels dans la vie du poète. Philippe Bonnet a ici même évoqué l’importante manifestation qui s’est déroulée en 2012 à Etival, dans le Jura, pour commémorer le voyage qu’y fit le poète, en compagnie de Marcel Duchamp et Francis Picabia, un siècle plus tôt (Les soirées de Paris 5 septembre 2012 et 7 octobre 2012). Il reste à explorer Paris et ses hauts lieux de création ; mais auparavant, l’engagement et la participation d’Apollinaire à la Grande Guerre se devaient d’être célébrés.
BOIS AUX BUTTES (Aisne). – C’est à cet endroit, près du village de Pontavert, alors qu’il lisait un exemplaire du Mercure de France, qu’Apollinaire reçut un éclat d’obus à la tempe, en 1916. La blessure nécessita la trépanation. Une stèle a été installée par le conseil général de l’Aisne en 1990.
On y lit : «En ce lieudit Le Bois aux buttes le 17 mars 1916 / fut blessé Guillaume Apollinaire 1880-1918», et le sculpteur a gravé dans la pierre les fameuses strophes tirées des Saisons, vers que Guillaume avait envoyés à Lou dans sa lettre du 11 mai 1915 : «Dis l’as-tu vu Gui au galop / Du temps où il était militaire / Dis l’as-tu vu Gui au galop / Du temps où il était artiflot / A la guerre» .
PARIS. – Il faudra attendre 1962 pour qu’une sobre plaque soit apposée sur l’immeuble du 202 boulevard Saint Germain, où Guillaume vécut à partir de janvier 1913, et où il s’éteignit le 9 novembre 1918. La cérémonie eut lieu le vendredi 13 du mois d’avril en présence d’André Billy, membre de l’Académie Goncourt, de Gaétan Picon, directeur général des Arts et lettres et du président du Conseil municipal de Paris Paul Minot. Ce fut l’occasion pour André Billy, grand ami du poète qu’il qualifia « d’homme le plus affable, le plus souriant, le plus accueillant du monde« , d’évoquer le petit appartement, ou plutôt «le pigeonnier, le grenier» où il s’était fréquemment rendu et où Apollinaire avait vécu en compagnie de son épouse Jacqueline.
Ce n’était pourtant pas le première hommage officiel rendu par la capitale à Apollinaire. En 1951, le 9 novembre, jour anniversaire de la mort du poète, Pierre de Gaulle (frère cadet du général), inaugurait la rue Guillaume Apollinaire, dans le prolongement de la rue de l’Abbaye. Une rue assez minuscule, mais située en plein cœur du quartier Saint-Germain. Quelques minutes de vidéo consultables sur le site INA, nous permet de voir, parmi les personnalités présentes, Jacqueline Apollinaire, André Billy et Paul Léautaud.
A un jet de pierre de la rue Guillaume Apollinaire, on trouve le square Laurent Prache, qui jouxte l’église Saint Germain des Prés. Si le nom de Laurent Prache (avocat et conseiller municipal, décédé en 1919) n’a guère laissé d’autres souvenirs, c’est ici que l’on trouvera le Buste de Dora Maar, un bronze que Picasso offrit à la ville de Paris pour honorer son ami Apollinaire.
Le choix de cette œuvre n’a pas toujours été bien compris : il constituait en fait une sorte de compromis après de multiples et complexes tracasseries de tout ordre, notamment le refus par les autorités des différentes propositions de Picasso (on lira avec profit le chapitre consacré à cet épisode dans l’ouvrage de Peter Read « Picasso et Apollinaire, Les Métamorphoses de la mémoire », chez J. M. Place, 1995).
L’inauguration officielle finit par se tenir le 5 juin 1959, en présence d’André Salmon et de Jean Cocteau, mais Picasso ne fit pas le déplacement pas plus qu’André Malraux, le tout nouveau ministre de la Culture. Par ailleurs, les rivalités artistiques, esthétiques, voire politiques, assez virulentes, expliquent qu’André Breton et ses séides aient bruyamment manifesté contre la présence de Cocteau à la manifestation.
L’Odyssée de Dora Maar.- L’histoire du « monument Apollinaire » ne s’arrêta pas à cette inauguration mouvementée. Quarante ans plus tard, un événement imprévu allait rendre l’histoire totalement rocambolesque. Dans la nuit du 30 au 31 mars 1999, le bronze (80 kilos quand même…) fut détaché de son socle de ciment et enlevé sans bruit. Ce n’est qu’au petit matin qu’on s’aperçut de la disparition. Quelques traces de coups de burin témoignaient du forfait. La proximité du premier avril fit d’abord penser à une blague d’un goût douteux ; on envisagea plus sérieusement une « commande » d’un collectionneur privé, la statue de Picasso étant la seule se trouvant exposée en plein air à Paris.
L’énigme dura plusieurs mois, et personne ne porta attention à l’étrange découverte faite quelques semaines plus tard, à une cinquantaine de kilomètres de Paris, dans la commune d’Osny (Val d’Oise). Dans les fossés entourant le château de Grouchy qui abrite la mairie, des jardiniers trouvèrent une masse assez informe recouverte de vert-de-gris et de mousse. Le maire d’Osny signala l’étrange trouvaille aux autorités compétentes et, en attendant leur décision, le buste mystérieux fut nettoyé et tout bonnement exposé dans le Château.
Personne ne pensa à faire le rapprochement avec la disparition de Saint Germain des Près. Il fallut la connaissance et la perspicacité d’un artiste habitant dans les alentours, Ange Tomaselli, pour que l’œuvre soit identifiée comme étant bien le fameux buste de Picasso. «Et pourtant, on m’avait d’abord pris pour un aimable plaisantin», déclarait à l’époque l’artiste découvreur qui, en échange de ses précieuses informations, demanda simplement de pouvoir bénéficier d’une entrée gratuite dans les musées parisiens. Il n’est pas sûr que cette faveur lui ait été accordée.
Dora Maar devait donc quitter le château où on l’avait exilée, mais elle ne rejoignit pas tout de suite le square de Saint Germain. Ce n’est que le 17 décembre 2001 que le buste retrouva sa place d’origine. Nouveau rebondissement : personne ne reconnaît alors la « vraie » statue ! Ni le galeriste d’en face, ni l’artiste qui l’avait identifiée, ni les riverains. La polémique est lancée. S’agit-il d’un faux ? D’une copie ? Pourquoi la remise en place s’est elle déroulée avec autant de discrétion ? Que veut on cacher…? Beaucoup de bruit dans le Landerneau germanopratin, et l’affaire inspira au dessinateur Cabu quelques dessins ironiques dans la Gazette de Saint Germain des Près. Si la mairie du VIearrondissement se justifia en expliquant que la restauration de l’œuvre et la nouvelle patine avaient pu tromper les riverains, l’énigme n’a pas toujours été résolue, pas plus que n’ont été identifiés les commanditaires de l’enlèvement.
Quoi qu’il en soit, l’odyssée du buste de Dora Maar aurait sans aucun doute fourni un sujet de choix à Apollinaire dont on connaît le goût prononcé pour l’étrange et le mystérieux…
PONT MIRABEAU.– Pouvait-on se passer d’une plaque sur le Pont Mirabeau, que le poète a chanté dans le plus célèbre de ses poèmes, publié dans le numéro 1 des Soirées de Paris, en février 1912 ? Une visite s’impose, façon Brassens et sa chanson Les Ricochets (2001) : « On n’s’étonnera pas si mes premiers pas, tout droit me menèrent / Au pont Mirabeau, pour un coup de chapeau à l’Apollinaire« . On y trouve bel et bien une plaque reproduisant les premiers vers du poème. Cet hommage date de 1986, lorsque le pont, construit cent ans plus tôt, avait été classé à l’Inventaire des Monuments Historiques.
PÈRE-LACHAISE.– Comment ne pas venir saluer le poète à l’endroit même où il repose, au cimetière du Père Lachaise ? Le monument, qui évoque une sorte de menhir, a été sculpté par l’artiste d’origine russe Serge Férat, et non par Picasso comme on l’entend fréquemment. On sait qu’Apollinaire est mort de la grippe espagnole le 9 novembre 1918, deux jours avant l’armistice et que son dernier voyage s’est déroulé dans un Paris en liesse, surexcité par la défaite de l’ennemi et la Paix enfin retrouvée. Dans les rues noires de monde, les témoins racontent que la foule criait «A bas Guillaume !», en pensant au Kaiser, Guillaume II. L’enterrement d’Apollinaire, entouré de ses compagnons les plus fidèles, n’en fut que plus douloureux.
Depuis, chaque 9 novembre, des amoureux du poète, des admirateurs, des chercheurs, des passionnés venus du monde entier, se retrouvent devant la tombe où sont gravés quelque vers de Collines : «Je me suis enfin détaché/ De toutes choses naturelles…/ Je peux mourir en souriant».
Près d’un siècle plus tard, il est émouvant de constater que cette tradition ne s’est jamais interrompue.
L’histoire du pont Mirabeau par Gérard Goutierre
Le passage de Guillaume Apollinaire à Etival (Jura)
Bravo pour ce très bel article sur les lieux de mémoire de Guillaume.
J’y ajouterai « le bois sacré », cette Forêt des Ecrivains combattants située dans le massif du Caroux au nord de la station thermale de Lamalou-les-Bains au nord de l’Hérault.
L’Association des écrivains combattants sous la présidence de Claude Farrère a décidé, en 1931, de planter dix mille pins et cèdres sur cent trente cinq hectares afin de conserver la mémoire des écrivains morts au cours la Première Guerre mondiale.
On peut lire sur la stèle d’entrée : « En mémoire des 560 écrivains morts à la guerre, dressés contre l’invasion, l’association a planté ces arbres dressés contre l’inondation. »
Le 13 juillet 1952, le journaliste et romancier Pierre Chanlaine, devenu président de l’Association des écrivains combattants, transforme la forêt en domaine et la fait aménager en site de promenade. Il fait ajouter les noms des écrivains morts pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Naturellement Apollinaire y trouve sa place aux côtés de St Exupéry, Péguy, Pergaud, Alain Fournier, M. Jacob, Desnos, Crémieux, Desbordes et des centaines d’autres.
J’ai lu avec plaisir ces deux épisodes. Je m’interroge sur le rapport entre Dora Maar et Apollinaire. Le projet Zadkine aurait été pas mal. S.
Bravo pour cette chronique, Monsieur Gérard Goutierre,
Sur la vie poétique, et pas moins singulière,
De l’ami de Matisse, et de l’amant de Lou.
Tu rends un bel hommage au poète visionnaire,
Par ce pélerinage en quête d’Apollinaire.
Oui, beau et douloureux voyage. L’épopée du buste de Dora Marr est cocasse mais l’oubli est triste. Merci d’avoir rendu à Ferat le tombeau d’Apollinaire; je crois que même l’initiative de la souscription venait de lui.
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