Alexander McQueen ou la quête incessante du sublime

Portrait of Alexander McQueen, 1997 Photographed by Marc Hom © Marc Hom / Trunk ArchiveJusqu’au 2 août prochain, le Victoria & Albert Museum à Londres célèbre le talent du créateur britannique dans une rétrospective lumineuse. Pour évoquer Alexander McQueen, le V&A a décidé de laisser parler ses créations en laissant tomber les excès personnels. Jusqu’au 2 août, l’exposition «  Savage Beauty »  s’affiche dans une discrète sobriété qui fait ressortir à merveille l’exubérance et la flamboyance de ce génie de la mode, suicidé en février 2010. 

En soi, le choix du V&A n’est d’ailleurs pas surprenant : Alexander McQueen avait ainsi confié qu’«il s’agissait du genre de lieu dans lequel il aimerait rester enfermé toute la nuit». Cette exposition, qui lui rend un hommage appuyé au travers de 240 ensembles et accessoires, nous fait redécouvrir les obsessions et les démons de ce garçon de la banlieue est de Londres. Cette même banlieue, s’amusait-il à dire, où l’éducation ne faisait pas partie des priorités.

L’improbable destin de McQueen est pourtant magnifiquement condensé dans cette exposition.  Sous une hauteur de plafond improbable, le «cabinet des curiosités» mêle ainsi les collaborations de l’enfant terrible de la mode britannique avec le créateur de chapeaux Philip Treacy et le joaillier Shaun Leane. Le tout rythmé par la retransmission sur écrans des défilés qui ont émaillé sa carrière. Bosseur invétéré et curieux.

Alexander McQueen aimait exploiter toutes les matières  pour rendre compte de sa vision du monde : cuir, prothèses, plumes devaient permettre de refléter son idéal de beauté qu’il «trouvait dans le grotesque, comme beaucoup d’artistes » : «J’aime contraindre les gens à  voir les choses » avait-il coutume de dire. Multiples, ses obsessions transparaissent dans les thématiques de ses défilés : attaché à ses racines écossaises, McQueen se définissait lui-même comme « a designer with a cause », littéralement, un créateur engagé, qui aimait à défier l’histoire.

Modèle Alexander Mc Queen. Photo: Michel Dufour/Getty Images

Modèle Alexander Mc Queen. Photo: Michel Dufour/Getty

Pour lui, pas question de réduire l’Ecosse à son plat national, le haggis, le kilt ou encore la cornemuse :  avec dix ans d’écart, ses collections Highland Rape (automne-hiver 1995) et «The Battle of Culloden» (automne-hiver 2006), retracent, au travers de faits historiques, toute la complexité de la relation du designer avec ses racines.  Cette attraction terrestre s’étend aussi chez le créateur à l’amour de la nature dans toute sa complexité : le garçon terrible de la mode britannique, qui avait fait ses premières armes chez les tailleurs de Savile Row, a toujours tissé une relation particulière avec la nature africaine : dans «Jungle out There» (automne-hiver 1997), la gazelle, considérée par MacQueen comme la chaîne alimentaire de l’Afrique, est au centre de la collection :  au rayon des accessoires, les cornes d’impala et têtes de crocodiles cousues sur un body ne sont pas choisies au hasard.

Quelque 13 ans plus tard, sa collection Eshu (automne-hiver 2010), qui prend son inspiration dans les tribus Yoruba d’Afrique de l’ouest, frappe aussi les esprits par l’étonnant travail de couture qui lui est dédié : on se souvient encore de ce long manteau noir en cheveux synthétiques, parfaitement surréaliste. L’ensemble des éléments naturels constitue un terreau fertile d’inspiration pour McQueen.

A. Mc QUEEN Paris Fall-Winter 2007 Friday 03/02/07. Photo: Dan et Corinne Dan Lecca

A. Mc QUEEN Paris Fall-Winter 2007 Friday 03/02/07. Photo: Dan et Corinne Dan Lecca

Dans sa dernière collection aboutie- Plato’s Atlantis-  le designer s’inspire de Platon et du mythe de l’Atlantide, cette ville engloutie suite à un cataclysme il y a deux millénaires : imprimés numériques, perles façon écailles et  broderies métalliques assurent une image convaincante de créature hybride, mi-femme, mi-poisson.

Présenté au Palais Omnisports de Paris-Bercy le 6 octobre 2009, ce défilé avait d’ailleurs été précédé d’un film mettant en scène une femme se transformant en une créature aquatique. Car le génie d’Alexander McQueen n’était pas seulement d’insuffler un vent de nouveauté dans la mode. Le designer savait aussi apporter dans ses défilés de l’émotion et du spectacle.  Au travers d’un film, d’une production réussie ou encore tout simplement au travers de ses mannequins, devenues actrices le temps d’un défilé.  Et le tout sous le regard médusé d’un public qui continue à l’admirer.

Stéphanie Salti, correspondante à Londres

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Une réponse à Alexander McQueen ou la quête incessante du sublime

  1. de FOS dit :

    Magnifique !

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