Le signal

Illustration: Philippe BonnetRobert suivit du regard le haut de la jupe qui remontait l’allée. Il était assis sur un banc au milieu d’un square peu fréquenté. La déroute industrielle de la ville avait logiquement précédé le départ de la majeure partie de ses habitants. Autrefois on y fabriquait des automobiles. Désormais certains quartiers étaient fantomatiques avec des voitures plus ou moins privées de roues, abandonnées sur les trottoirs.

Cette jupe jaune était inattendue. D’abord par sa couleur, ensuite parce que quelqu’un la portait dans ce lieu sans vie. Ce n’est pas que le quartier était mal famé, non, car il n’était plus habité, ni par des vagabonds, ni même par des clochards. Les rats avaient déménagé en dernier, faute d’un dernier débris alimentaire à se mettre sous la dent.

Robert était resté par paresse et aussi pour des raisons pratiques car il ne payait pas de loyer dans cette maison que les propriétaires avaient quitté avec leurs valises mais en laissant les meubles. Pour aller faire les courses il devait prendre son vélo jusqu’à l’arrêt de bus d’où il pouvait rejoindre en 15 minutes de transport en commun un centre commercial réduit aux acquêts.

Il avait étendu ses deux bras tout au long du banc dont sa silhouette faisait le point central et son regard s’était d’abord perdu sur les feuilles d’érables qui tapissaient l’allée car l’automne était enfin là, après un été chaud qui se complaisait dans les prolongations. Et puis il y avait eu cette jupe jaune autour de ce corps juché sur une paire d’escarpins à petits talons. Le haut était en simili léopard, c’était du moins l’idée de Robert, qui n’avait jamais vu de léopard.

La vision l’apaisa tellement avec ce rythme un peu hypnotique dû au balancement des hanches, qu’il s’assoupit. Et dans le rêve qu’il entama, l’histoire se poursuivit à son avantage. Il rattrapait la jeune femme, trouvait une formule drôle pour arrêter son attention, lui proposait de l’accompagner un peu et, d’étapes en étapes, ils se voyaient téléportés alors sur une plage de Floride, lui jouant avec un enfant au ballon, elle assise en maillot de bain, surveillant avec une bienveillance propre aux vacancières les environs maritimes et sablonneux. Un songe de dix minutes chrono.

Mais quand Robert rouvrit les yeux, son personnage à fanion jaune s’était retiré de la scène. Le vent en avait profité pour se lever, provoquant de jolies farandoles parmi les feuilles mortes. C’est sans doute ce courant d’air, porteur d’une fraîcheur sensible, qui l’avait réveillé. D’un geste soucieux, presque grave, il remonta la fermeture éclair de son blouson de velours. D’après la radio, il fallait s’attendre à de la pluie pour le week-end.

Cela lui faisait de la peine d’abandonner son vélo mais en même temps ce n’était pas son vélo. C’était un vélo trouvé qui en trouverait d’autres après lui pour faire un bout de chemin de conserve, sur la selle de marque Superbiking.

Illustration: PHB

Illustration: PHB

La situation de la ville était telle que l’arrêt des autocars de grande ligne en son centre n’était plus qu’une option. Si l’on ne hélait pas clairement le conducteur, il passait outre et l’on devait patienter jusqu’au lendemain. Mais Robert lui fit un signe sans ambiguïté, un tel appel de naufragé, que le chauffeur eut un instant la vision d’un sauvetage en mer.

Il n’y avait qu’à s’asseoir. Les plages de la Floride étaient au bout. Fallait juste voir à trouver de quoi s’acheter un maillot de bain.

PHB

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