Pour qui vient d’achever sa lecture, le scénario de Soumission, le dernier opus de Michel Houellebecq publié chez Flammarion, est moins abracadabrantesque qu’il n’y paraît. C’est évidemment le côté dérangeant de l’ouvrage qui sans cesse oscille entre onirique et concevable – à l’heure où l’extrême droite a le vent en poupe, où l’opposition s’étripe sur le ni-ni, où la violence de certains ose se réclamer de l’islam…
Il n’empêche, parti du postulat de l’échec du PS en 2022, l’auteur développe une mécanique horlogère huilée que le lecteur suit jusqu’au bout malgré les provocations (instauration du port du voile), les lacunes (niveau du taux d’abstention) et les invraisemblances (France fille aînée de l’église catholique). Houellebecq ligote dans ses filets littéraires moins par le style que par le soin mis à étayer son cheminement.
Après un second mandat désastreux, la gauche se retrouve exsangue en mai 2022. Se liguant contre le FN qui s’est hissé à 32 % des suffrages au premier tour des élections présidentielles, PS et UMP portent au pouvoir un troisième « larron politique » : un parti musulman dont la modération consiste à prendre Bayrou comme Premier ministre. Imaginer le Béarnais catholique pratiquant en charge d’appliquer le programme de la Fraternité musulmane, voilà la première galéjade de l’ouvrage. La seconde à le placer entre farce et fable réside dans le programme politique des nouveaux dirigeants, qui consiste à islamiser l’éducation et résoudre le chômage en consignant les femmes à la maison.
Le romancier décrit la marche des événements à travers le vécu de François. Son héros, maitre de conférences à la Sorbonne est l’auteur d’une thèse appréciée sur Huysmans, un écrivain de la seconde moitié du XIXème siècle dont l’œuvre tient à son renoncement à Satan pour se tourner vers Dieu. Mis un temps à la retraite par l’arrivée de la Fraternité musulmane au pouvoir, François retrouve sa chaire en se convertissant à l’islam – d’où le titre du roman.
François ressemble comme deux gouttes d’eau profane à Houellebecq qui lui-même emprunte à Huysmans ses tourments métaphysiques. Jeux de miroirs et mise en abyme littéraire. Ce n’est pas un hasard si l’ouvrage fait référence à Claudel l’engagé et Péguy le converti, s’il met en exergue l’auto-description à laquelle se livre Huysmans dans En route : « je suis perturbé dans les chapelles, je redeviens inému et sec, dès que j’en sors« .
L’ouvrage sert une curieuse macédoine littéraire mêlant politique, sexe, bouffe et histoire – le tout agrémenté de références littéraires et assaisonné à la sauce Houellebecq faite d’ironie et autodérision. Une auberge mudéjar non dénuée d’humour au niveau périple du héros qui enquille une fuite à Martel (où un certain Charles éponyme battit les Arabes à Poitiers), un pèlerinage à Rocamadour (où les rois saints rendirent hommage à la Vierge noire) et une retraite en l’abbaye de Ligugé où aucune des neuf prières quotidiennes ne nous est épargnée.
Le livre s’avale d’une traite comme une gorgée de Picon amer. Lanceur d’alerte ou bâton de dynamite, on ne sort pas ragaillardi de cet hymne à (feu) la chrétienté médiévale, cette simili prophétie de l’imminente orientalisation de la société.
Pourquoi parler d’un livre dont chacun a eu le temps de se faire une idée ? Parce qu’il étripe la presse pardi ! François derrière qui se cache Houellebecq n’y va pas de plume morte avec le « quatrième pouvoir ». Il n’apprécie rien de moins que l’eau tiède et accuse Le Monde d’en être le déversoir. Les médias se voient stigmatisés dans leurs petits et gros défauts : tics de langage, endogamie, panurgisme, absence de curiosité et paresse intellectuelles. Quand ils ne sont pas de mauvaise foi ! La charge est lourde au point d’imputer aux journalistes « l’écart abyssal » existant entre la population et ceux chargés de parler en son nom… Et si Soumission n’était que prétexte à entonner ce refrain dans l’air du temps qu’est crier haro sur la presse ?
Guillemette de Fos