Vlaminck hausse le ton

"Le silo" détail. Maurice de Vlaminck. Photo: Les Soirées de ParisCeux qui ont vu dans leur vie une rétrospective consacrée au peintre Maurice de Vlaminck ne peuvent pas être nombreux. Malgré sa notoriété, ce précurseur du fauvisme a seulement fait l’objet d’une exposition en en 1910 chez Ambroise Vollard, en 1956 à la galerie Charpentier et l’on mentionne son passage en 2008 au musée du Luxembourg. L’atelier Grognard à Rueil-Malmaison (ville où il a vécu) présente une centaine de ses réalisations (sur 6000…) jusqu’au 25 mai.

Maurice de Vlaminck (1876-1958) est homme tout en virilité. Peintre oui, mais aussi musicien, cycliste, boxeur et gros mangeur, il déclarait que son œuvre c’était ses « empreintes digitales« . Ses autoportraits sont effectivement moins significatifs sauf peut-être un autoportrait à la pipe réalisé vers 1918, car son encre comme ses gouaches se montrent souvent plus subtiles et délicates que ses huiles. Du moins en apparence.

C’était un ami de Derain avec qui il se lia définitivement alors qu’ils accomplissaient tous les deux le trajet Saint-Lazare-Chatou à pied. C’était aussi un ami d’Apollinaire auprès de qui il s’inquiétait dans une lettre du 10 juillet 1914 (1) de ne pas avoir reçu le numéro des Soirées de Paris qui publiait quatre de ses œuvres. De ce qu’il avait vu chez Vollard, Apollinaire avait mentionné dans l’Intransigeant : « Il n’y a là que des toiles de premier ordre ».

De l’eau a un peu coulé sous le pont de Chatou depuis ce compliment. Le paysagisme, même fortement contrasté par Vlaminck n’est plus dans le coup. Si l’on s’amusait de nos jours à mettre l’un de ses paysages neigeux sur un marché du dimanche, sans sa signature, il n’est pas bien sûr qu’il s’arracherait dans la minute. Au demeurant, peindre la neige n’est en rien évident. Edelfelt (1854-1905) avait quelques facilités dans ce domaine mais en tant que Finlandais il avait l’avantage géographique.

Amoureux de la vie et de sa liberté avec un « sens flamand de la joie » selon Apollinaire, il a déboulé dans la couleur en empoignant sans ménagement ses tubes de peinture. « Je haussais tous les tons, proclamait-il, je transposais dans une orchestration de couleurs pures tous les sentiments qui m’étaient perceptibles ». Il y un côté équarrisseur chez Vlaminck et ce n’est pas seulement à cause de sa nature morte représentant une côte de bœuf que l’on en arrive à cette impression.

Une générosité évidente s’empare de cet homme lorsqu’il embrasse un paysage et fait siens maisons, meules de foins avec des cieux comme des vagues. L’on voit bien que sa paire de poumons cube alors à plein régime nonobstant sa pipe de capitaine. Ce n’est certes pas un peintre pour midinettes. Certaines de ses vues comportent le flou de l’homme qui a vu la campagne défiler, au volant de son cabriolet ou de sa moto, flirtant avec les quatre vingt dix kilomètres à l’heure. Acte manqué ou délibéré, ce qui ressemble à première vue à un tracteur dans « Le Silo » peint en 1950, fait davantage penser à une voiture de course. Il a l’air comme ça de peindre au fusil d’assaut mais lorsque l’on s’attarde dans les détails, Vlaminck offre souvent plusieurs œuvres dans la même toile.

Il n’est pas mentionné dans l’exposition mais seulement dans le catalogue, qu’il a fait partie des peintres un peu égarés dans un voyage d’étude en Allemagne (1941) à l’invitation d’Arno Breker, artiste officiel du troisième Reich. Il était accompagné de quelques uns (Belmondo, Van Dongen, Derain…) et l’affaire leur avait été vendue comme devant permettre la libération  de 400 élèves de l’école des Beaux-Arts retenus prisonniers à la frontière allemande. Cette ombre au tableau concorde sans vrai paradoxe avec sa façon de vivre en liberté, sans se soucier de la critique et assumant, probablement au même titre, ses erreurs comme ses succès. Son tempérament et son physique ne pouvaient le conduire sans un peu de casse, au propre comme au figuré. Du reste il y aurait beaucoup à dire sur nombre d’artistes et écrivains ayant fréquenté de près ou de loin, par erreur ou aveuglement, nombre de dictateurs.

Il reste que cette exposition à la scénographie sans faute ne peut laisser indifférent. On ne manquera pas de s’attarder en fin de parcours à ses gouaches, aquarelles et dessins qui, on l’a mentionné, dévoilent mieux que ses huiles une part cachée de sa sensibilité. Les quelques photos de lui qui émaillent le trajet révèle un costaud plutôt sympathique que les vents d’influence, notamment le cubisme, n’ont jamais fait dévier du cap qu’il entendait suivre.

PHB

Atelier Grognard. 6 avenue du Château de Malmaison, 92500 Rueil-Malmaison. 13H30/19H. Jusqu’au 25 mai.

(1) Dans Correspondance avec les artistes. Peter Read et Laurence Campa (Gallimard)

Paysage. 1930. Maurice de Vlaminck. Musée d'Art moderne de la ville de Paris. Photo: Les Soirées de Paris

Paysage. 1930. Maurice de Vlaminck. MAMVP. Photo: LSDP

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6 réponses à Vlaminck hausse le ton

  1. Pierre DERENNE dit :

    « il a fait partie des peintres un peu égarés dans un voyage d’étude en Allemagne (1941) à l’invitation d’Arno Breker, artiste officiel du troisième Reich. »
    Les autres français, dans leur immense majorité, faisaient chambre d’hôte et n’ont pu se libérer 🙂

  2. VAM dit :

    En mai 1939, dans un restaurant parisien et en compagnie de quelques uns de ses amis un peu anarchistes comme lui, Vlaminck brûle un portrait de Hitler en réponse aux menaces bien réelles du Führer. Qu’il soit ensuite allé se perdre en Allemagne ne lui a pas été pardonné et a sans doute pesé dans la suite de sa carrière. Merci d’avoir replacé le peintre dans ce qu’il a donné à l’histoire de la peinture moderne par cet article tout en finesse et très bien documenté. Sa lecture procure un plaisir sans doute équivalent à la visite de l’exposition.

  3. person philippe dit :

    Ah ! Cette Occupation ! Elle occupera encore longtemps les esprits…
    Je travaille sur la période depuis un certain temps et je n’ose, par exemple, dire ce que Picasso fit ou ne fit pas à cette époque-là.
    On cite souvent son mot quand un nazi vit dans son atelier une reproduction de « Guernica »… L’Allemand lui aurait dit : « C’est vous qui avez fait ça ? » et Picasso aurait répondu : « Non, c’est vous »…
    Le problème est aussi clair que la résolution de la « Lettre volée » de Poe : que faisait ce nazi chez Picasso ? On a l’habitude de dire qu’il avait été obligé de le recevoir… C’est une mauvaise habitude… Mais je ne crois pas que nous soyons mûrs en ces temps incertains où la liberté d’expression va être à géométrie Charlie variable pour tout dire sur Picasso à Paris sous l’Occupation. Donc restons simplistes : les salauds s’appellent Vlaminck et Van Dongen…
    Ce qui ne gêne aucunement pour constater leur immense talent…

  4. xavier.valentin dit :

    Grâce à vous, je suis allé voir cette très belle exposition ce dimanche…
    merci,
    je vous la recommande !

  5. Bertrand dit :

    Comme disait Philippe ci-dessus, reconnaitre les demi-teintes de son engagement politique ne nécéssitent pas pour autant le rejet de son oeuvre: ses « tendances anarchistes » n’excluent malheureusement pas (au contraire) des sympathies pour les fascismes, de la meme facon que le rejet Allemand de l’Entartete Kunst n’empechait pas son invitation.
    Avant l’invitation de Breker, il y a eut plusieurs précédents, qui sont chroniqués par Cone dans son ouvrage « French Modernisms » chez Cambridge U Press. Parmis les artistes francais triés sur le volet, invités en 1937 a participer a la Ausstellung Franzosicher Kunst der Gegenwart, on pourra d’ailleurs noter la présence au coté de Vlaminck d’un nombre de modernistes dont la politique, pour certain, fait plus rarement l’objet des memes discussions: Braque, Derain, Matisse, Léger, Lhote, Valladon, Friesz, etc.

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