En mon fin palais se promène
Ainsi qu’en son appartement
Un fier chardon, fleur- aliment,
Régulateur de l’abdomen.
C’est l’esprit familier de ma table,
Où il trône en maître absolu,
Cœur à prendre sous pelure feuillue,
Tout en lui m’est appréciable.
Mangé cru ou cuit, peu me chaut,
Sa saveur est toujours goûtue.
Il fait le dessert imprévu
Edulcoré. Vive l’artichaut !
Le chardon domestiqué – commercialisé sous le nom d’artichaut – occupe d’abord les mains avant d’emplir la bouche. Rêve d’anorexique et coupe faim idéal que ce végétal miséreux au plan calories.
Originaire de Bretagne, son bonnet vert est plus sympathique que celui – revanchard – d’une autre couleur. L’un offre aux commensaux les trésors de sa bouille ronde, l’autre roule pour sa péninsule.
L’artichaut en son entièreté campe un cou girafien (jusqu’à 2 mètres de haut) que surmonte un bouquet de fleurs en forme d’ombrelle, le capitule. Là réside la partie comestible de ce cardon joufflu emmanché d’une longue tige. Tout est bon dans l’inflorescence que le gourmand déshabille au-dessus de l’assiette comme l’amoureux au champ effeuille sa petite cousine la marguerite. Le réceptacle (alias le fond) autant que les bractées (les feuilles) sont donc en grande partie comestibles. Même le foin trouve son utilité alimentaire : cette barbante touffe de poils qu’on peste à ôter pour parvenir au cœur ferait, dit-on, cailler le lait mieux que le vinaigre.
Les amateurs d’artichauts seront ravis d’apprendre qu’ils ont d’illustres prédécesseurs. C’est Catherine de Médicis qui fit introduire ce légume à la cour de France. La Florentine ne fut pas seule à raffoler de l’artichaut, le Roi Soleil aussi fut friand de cette primeur au port altier et à la réputation d’aphrodisiaque. En consommait-il pour honorer fougueusement favorites et maîtresses? La royale appétence pour ce végétal aux mille vertus fournit-elle un début d’explication à l’exceptionnelle longévité du règne du monarque ? Mille vertus moins une… L’inuline contenue dans la plante potagère pourrait n’être pas étrangère aux flatulences et ballonnements dont souffrit Louis XIV. Des troubles digestifs si récurrents qu’on lui administra une centaine de clystères par an dans son majestueux arrière-train. Quasiment un tous les trois jours. Au secours Patrick Pelloux qui hallucine des traitements qu’endurèrent nos souverains dans « On ne meurt qu’une fois mais c’est pour longtemps ». Comme la Loi Léonetti , même imparfaite, aujourd’hui nous paraît douce …
Mais foin de digressions, passons des embarras gastriques du royal blason à notre humble assiette… Même si la transition est rude, j’en conviens. Pauvre en lipides et riche en fibres, l’artichaut a des vertus dépuratives, diurétiques et anti-oxydantes. Il protégerait du cancer du foie et du cancer du colon. Ardoise magique pour vapeurs alcoolisées, exquise alternative à la purge préparatoire au bilan colorectal. Et pour nous permettre d’ingérer en tous lieux cette panacée, les apothicaires en ont capturé le génie dans leurs pilules mieux qu’Aladin dans sa lampe. Qui ingurgite régulièrement du concentré de jus d’artichaut verra s’abaisser son indice de masse corporelle, jurent des nutritionnistes hongrois saturés de goulasch.
A l’étal, quel artichaut choisir ? Pansu et charnu, le Camus de Bretagne, aux bractées plus serrées que le métro aux heures de pointe, se consomme cuit. A la vapeur ou aux micro-ondes pour éviter la perte des nutriments. Il est royal servi avec un accessoire anobli : une vinaigrette enrichie d’une pointe de Maggi ou de Viandox, une mayonnaise relevée à la crème de raifort, une béchamel zestée de noix de muscade. L’ourlet des feuilles trempé dans la béchamel puis dans la vinaigrette fait la bouchée douce et piquante à la fois. Qui ne manque ni de temps ni de courage peut s’employer à farcir l’artichaut d’un reste de viandes et/ou de légumes du soleil. Le chardon de la situation est le Castel, l’obèse armoricain pouvant peser jusqu’à 600 grammes pièce. Un peu de parmesan dessus et hop au four !
S’il arrivait que les routes bretonnes soient bloquées par des Bonnets Rouges au point d’affecter la continuité territoriale armoricaine (notez le paradoxe), optez pour le gros vert de Laon, également surnommé « Tête de chat » (d’où la référence baudelairienne) : vous ne perdrez pas au change.
Quand l’estomac réclame de l’artichaut sa version crue ou marinée, choisissez le violet de Provence. Une fois arasées ses oreilles pointues de lynx, citronnez-le abondamment pour lui éviter de noircir et coupez-le en quatre pour le déguster à la croque en sel (beurre et fleur de sel) ou confit dans un mélange de vin blanc/huile d’olive/oignons.
Lorsque le temps manque, recourir au surgelé n’est pas forcément un péché. Chez Monsieur P, les fonds d’artichauts bretons en boîte de carton sont un régal à consommer de suite, ruisselants de beurre en motte aux cristaux de sel.
Le végétal a si bon fond qu’il se prête aussi aux desserts. Mais j’attends d’être invitée par le chef quadruplement étoilé Loïc Le Bail au Yachtman de Roscoff pour vous livrer mon sentiment sur sa crème d’artichaut aux sablés bretons…
Les allergiques à l’artichaut qui ne sauraient le voir qu’en peinture jetteront sans danger un œil sur La femme à l’artichaut de Picasso et sur le Vertumnus d’Arcimboldo. Ces tableaux hissent la plante potagère au rang qu’elle mérite, sceptre impérial pour l’un, rosette (verte) de la Légion d’honneur pour l’autre.
Enfin, ceux que l’indigestion d’artichaut aurait épargnés à ce stade et qui se risqueraient à écouter Georges Milton s’interroger à ce sujet pourraient être amenés à le regretter… Le refrain de sa chanson désuète vous fait la tête comme une pastèque.
Guillemette de Fos
Bonjour Guillemette, il fallait bien ce délicieux prénom pour nous inviter à déguster cette fleur succulente qui est curieusement boudée des tables de restaurants. Pourtant la variété des sauces d’accompagnement prodiguées dans ce papier devrait offrir une carte originale, j’y rajoute une salade céleri en branches coupées en dés, oignons blancs, petites rattes, olives et cœurs d’artichauts, le tout simplement arrosé d’huile d’olive la plus goutteuse possible.
Je sais le plat est plutôt printanier, il fait trop froid dehors je me réchauffe comme je peux !
Merci Bruno, j’inscris ta recette dans le carnet de bal de mes fonds d’artichauts…
Vous avez (joliment) terrassé le sujet pour un an au moins! S.
Ma chère Guillemette, jamais artichaut n’aura eu hommage aussi vibrant et fleuri ! je suis éblouie ! Il ne reste plus à notre mai Gilles que de t’inviter désormais chez Loïc Le Bail au Yachtman de Roscoff, et pur notre part, à nous retrouver devant quelques artichauts à déguster chauds… ou froids ! bises Martine
Chère Martine, je transmets à qui de droit !
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