Il s’était pourtant promis de ne plus jamais retomber dans le panneau. Lors de ce qu’il est convenu d’appeler « sa nuit de Gênes » en 1889, Paul Valéry avait fait en effet le serment, entre autres, de ne plus jamais laisser sa raison vaciller sous l’effet de la passion amoureuse. Un vœu parfaitement raté que l’académicienne Dominique Bona raconte dans son livre « Je suis fou de toi » (Grasset).
L’écrivain par ailleurs marié arrivera tout juste à s’en tirer avec Catherine Pozzi, une intellectuelle ascétique et l’un de ses plus brillants trophées, qui le voulait jusqu’à l’arracher à sa famille. Mais la suivante et la dernière sera plus forte que lui. De 34 ans sa puînée, Jeanne Voilier personnifiait la femme émancipée de l’entre-deux-guerres. Assez belle, intelligente, jouisseuse, elle ne se voyait certes pas sacrifier sa liberté âprement conquise, fût-ce pour Paul Valéry amant qu’elle pratiquait parallèlement avec un autre écrivain, Jean Giraudoux.
Biographe appliquée au point qu’il n’est pas interdit de penser qu’elle prend par la pensée la place de ses protagonistes féminins en savourant au passage une part de leur vie amoureuse, Dominique Bona nous entraîne dans les pas de l’écrivain sétois disparu en 1945, abattu par l’âge, la maladie et la passion. « Je suis fou de toi » est l’histoire d’une défaite.
Il n’est pas le seul à s’être brûlé à l’astre Jeanne (Jean) Voilier. « Yvonne Dornès souffre, Jean Giraudoux veut mourir, Paul Valéry va connaître l’enfer » énonce ainsi Dominique Bona qui s’affirme une fois encore une opiniâtre spécialiste en généalogie amoureuse et experte en effets primaires et secondaires. Les passions laissent des traces pour renseigner les biographes et c’est comme cela que l’on saura par exemple que Giraudoux avait des « caprices sexuels » tels, que Jeanne Voilier en confessera l’existence.
On peut penser que ce livre perd parfois le fil de son propos, tant son auteur s’échine à cartographier le contexte d’un empoisonnement amoureux dont Paul Valéry est aussi l’instigateur plus ou moins volontaire, au milieu de personnages liés à cette intrigue assurément dramatique. Pas moins de cent pages sont nécessaires au plantage du décor mais ce cadrage n’est pas ennuyeux.
Le livre contient plusieurs biographies qui s’entrechoquent, dont naturellement celle de Jeanne Voilier qui seule, semble mener sa barque sans faillir. Du moins jusqu’à la mort de son père, disparition à la suite de laquelle elle semblera chercher enfin une épaule où se reposer. Mais ce décès arrive bien tard pour l’éventuelle intervention d’un Paul Valéry vieilli. L’écrivain connaîtra néanmoins un ultime moment de bonheur durant l’été 43, dans la propriété de Jeanne Voilier, quelque part dans le Lot. Dominique Bona en tente la description, « l’air est léger, les oiseaux chantent, le parfum des herbes tendres se mêlent à celui de la maîtresse de maison » avant de laisser la parole à Paul Valéry qui écrira à propos de ce séjour, « ce furent les heures alcyoniennes de ma vie ». Le bonheur tient souvent en trois lignes.
Il n’a plus que deux ans à vivre et son amante lui cachera le plus longtemps possible qu’elle a déjà amorcé une autre liaison avec l’éditeur Robert Denoël.
Au-delà du pathos, l’un des aspects intéressants du livre est cette plongée dans un milieu aventureux, somme toute brillant, où un Paul Valéry choisira d’exprimer son malheur en savants, charnels et distingués alexandrins. Ce n’était pas à la portée du premier venu.
Tout sauf un robinet d’eau tiède, « Je suis fou de toi » est un ouvrage où s’entremêlent passion, exigence culturelle et soif de liberté. Avec cette particularité que son auteur s’est invitée, une fois de plus, par procuration ou assimilation involontaire, au générique.
« Je suis fou de toi ». Grasset (2014). 20 euros.
Merci pour cette lecture !
Si vous voulez tout découvrir sur Jeanne Loviton, je vous conseille le site « Robert Denoël, éditeur »… Il y a là une notice biographique remarquable, avec photos, reproductions de textes, etc… Ce site est d’ailleurs une merveille d’érudition….
Pour en revenir à Jeanne, elle a été la femme de Pierre Frondaie, l’auteur de « L’homme à l’Hispano », un des best-sellers d’avant guerre avec « La Madonne des Sleepings » de Maurice Dekobra… Un auteur à redécouvrir qui dirigeait aussi le théâtre de l’Ambigu…
meilleurs voeux à tous..
Merci de ces précisions et pour voeux. Excellente année à vous. PHB
Ayant retrouver une liberté bien méritée après une période de bachotage hors de propos et bien inutile!!! , je reprends mon clavier à plumes!
Un Homme en Vert avec l’épée au côté, le nœud papillon un peu de travers comme sur le point de s’envoler, et le bicorne miroir au plumet de jais sur les pavés de la cour aux fenêtres grillagées…
Un amoureux transi qui vit avec extase quelques heures inoubliables… Avec Jeanne, seul l’instant compte et ces quelques heures auront valeur d’éternité… Qui peut se venter d’avoir vécu tels instants magiques….
Je file acheter le livre de Dominique Bona! Et merci de nous avoir donné le lien chez Denoël…
Avec un peu de retard mais encore dans les temps théoriquement acceptables, j’adresse, à tous, mes vœux les plus sincères de bonne et magnifique année littéraire et humaine! 2015 nous doit d’être fabuleuse pour faire passer à la trappe ce goût de cendres et de sang qui me reste en bouche…
Un rayon de soleil sur le Val de Loire. Mais pas ce cadeau hypnotique d’une giboulée silencieuse de flocons folâtrant sur Orléans, d’hier 10heures… Un instant comme figé dans le temps.. Jeanne, la Guerrière, souriait en douce, place du Martroi! Connivence entre Lorraines! Instants comme enfermés dans une de ces boules à neige, de cristal, qu’une main joueuse aurait renversée…
Anne
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