Un sauvetage longtemps resté discret

Marguerite Anna Leobardy. Copyright Les Soirées de ParisDe cette carte d’identité délivrée en 1942 par l’Etat français, c’est à dire celui de Vichy, on apprend qu’elle était commerçante, qu’elle s’appelait Marguerite-Anna et qu’elle avait le visage ovale. Un 23 décembre 2002, soixante ans plus tard, sur une photo couleur, apparaît sa fille, accompagnée de sa petite fille. A leur droite il y a une dame aux cheveux blancs qui sourit, elle porte le nom de Louise.

Au bout d’une longue enquête, à force d’opiniâtreté, celle qui s’appelle Louise a fini par ressouder tous les bouts d’une histoire. C’était pendant l’occupation. De ce que l’on sait aujourd’hui, une femme et sa fille (Louise) fuyaient la police de par les rues de Limoges, bien certaines qu’un noir destin les attendait en cas d’arrestation.

Anna habitait avec sa fille (Jeanne) rue Casimir Ranson, en périphérie, dans une maison tout en hauteur qui dominait des maraîchages dont elle faisait commerce aux halles de Limoges. Lorsqu’elle croisa la route de cette femme et de sa fille Louise qui lui demandaient de l’aide, seul un réflexe humanitaire se déclencha. Ce qui fait que le temps nécessaire, les deux fugitives furent cachées et nourries dans une maison qui faisait l’angle de la rue Louis Casimir Ranson et la rue Paul Savigny. La maison a été démolie mais les maraîchages sont toujours visibles.

Anna est morte en 1965. A cette époque on disait qu’elle était morte folle, aujourd’hui on dirait « Alzheimer ». Louise qui n’était qu’une assez jeune fille au moment des faits a recherché la trace de celle qui devait avoir à peu près son âge, la fille d’Anna. Via un cheminement compliqué qui débuta au Conseil de l’ordre des médecins de Limoges, elle a fini par retrouver comme elle l’a écrit au dos d’une photo, « sa Jeannette », évoquant « une journée mémorable » alors même que la mémoire commençait à faire défaut à celle qui avait participé au sauvetage avec sa mère.

Ce 23 décembre 2002 consacrait l’achèvement d’une histoire où il avait simplement été question de courage, de solidarité, de simplicité et de détresse soulagée. Louise nous a laissé un commentaire. « Vous savez, expliqua-t-elle, lorsque l’on est poursuivi, ce dont on a besoin avant tout, c’est d’un répit pour réfléchir, pour prendre la bonne décision, agir sans affolement. Et c’est à votre grand-mère et à votre mère que je dois ça. »

Retrouvailles un 23 décembre 2002. Photo: PHB

Retrouvailles un 23 décembre 2002: Louise est celle qui a été sauvée par Jeanne (en haut à gauche) et la mère de Jeanne. Agathe est la petite fille de Jeanne. Photo: PHB

Ces deux femmes n’ont pas été intégrées à la liste des « justes » et elles auraient sûrement refusé d’ailleurs de donner davantage d’importance à ce qu’elles avaient considéré comme une action certes risquée mais naturelle. Il est probable qu’une autre personne, d’une autre confession, aurait bénéficié de leur part de la même solidarité.

Cela nécessite avant de conclure d’évoquer une tante disparue depuis bien longtemps elle aussi. Elle avait été élevée dans une espèce d’anti-sémitisme héréditaire, très courant au début du vingtième siècle et dont les origines, devaient remonter bien avant le moyen âge. C’était à Paris, toujours sous l’occupation. Une femme court au devant d’elle et lui crie « sauvez-moi je suis juive ». Ce qui fut fait sans probablement remettre ses idées bien ancrées en cause mais le (bon) fond de sa personne avait subitement parlé.

Tout ça pour dire que dans une ville du Val de Marne, un 23 décembre, la jonction entre plusieurs destins avait été une dernière fois opérée et sans faire les gros titres du vingt heures. Un anniversaire un peu moins anonyme désormais.

PHB

 

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5 réponses à Un sauvetage longtemps resté discret

  1. jmc dit :

    La belle histoire dans l’Histoire !

    • Louise et sa mère n’ont pas été les seules à avoir profité d’un abri dans la même maison au cours d’une traque sous l’occupation. Il y a eu aussi une certaine Charlotte qui a même passé clandestinement son baccalauréat à l’adresse de la rue Casimir Ranson. PHB

  2. Parisianne dit :

    La grandeur d’âme n’a que faire des honneurs.
    Beau témoignage pour faire vivre la mémoire, les mémoires. Merci

  3. Bruno Sillard dit :

    Si Philippe me permet de changer de sujet (cela dit merci pour le papier), vous connaissez la dernière, quand Chancel est arrivé aux portes du paradis, dans la salle d’attente les personnes qui étaient là se sont tournées vers lui et en chœur ont lancé « Et Dieu dans tout ça? » C’est Gotlib qui avait trouvé la formule quand il dessinait Chancel dans les Rubriques à brac, pour le Journal Pilote. La formule a poursuivi Chancel ensuite. Il a eu beau dire que jamais il n’avait dit ça, rien y a fait

  4. Ping : Une « consonne labiale est une consonne que l’on prononce avec les lèvres » | Les Soirées de Paris

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