La Cinémathèque honore jusqu’au 4 janvier Claude Sautet. Quelle juste idée tant l’héritage du cinéaste laisse encore dans nos mémoires de sérieuses empreintes de vies. Ce qui est fascinant en 2014, lorsque l’on visionne d’authentiques sommets comme « César et Rosalie », « Mado » et « Vincent, François, Paul et les autres », c’est la différence des libertés gagnées et perdues reflétées par ces titres des années soixante-dix.
Dans César et Rosalie par exemple que voit-on ? Des gens (magnifiques) comme Yves Montand ou Sami Frey conduire à la vitesse de leur choix, sans ceinture de sécurité et en fumant qui le cigare qui la clope. Une constante qui nous fait prendre conscience de ce que l’on nous a grignoté depuis, bien plus sûrement que la fonte de la banquise. Il est juste de dire que dans le même film, au cours d’une partie de poker nocturne où les cendriers fument autant que les fumeurs, il n’y a que des hommes à table et la seule femme présente (Romy Schneider) n’est là que pour servir à boire. Et pas assez vite: « qu’elles sont emmerdantes » lâche César. L’on mesure mieux le progrès réalisé depuis ces années où une place de dactylo était déjà considérée comme une marque d’émancipation. Mais quelle belle histoire d’amour et d’amitié que cette puissante intrigue entre l’homme d’affaires un peu voyou qu’est Montand au mieux de sa forme, l’élégant Sami Frey et l’indiscutable Romy Schneider, celle qu’il fallait conquérir à tout prix. Un concentré de vie et de personnages n’hésitant pas à prendre tous les risques pour vivre à fond. Ce film est un bienfait où les personnages secondaires ne le sont qu’au générique, tant leur présence est constitutive d’une structure générale sans faille.
Et que dire de « Mado » avec ce casting à briser un mur composé de Piccoli, Jacques Dutronc, Julien Guiomar tout en force, Michel Aumont, Jean Bouise… Il nous manquera terriblement ce Michel Piccoli lorsqu’il nous quittera. Ses colères et crispations d’homme d’affaires floué nous font sursauter à chaque explosion. Sa vengeance froide autant que déterminée face à un Michel Aumont pâle comme de la craie en apprenant qu’il va payer pour ses turpitudes, nous implique au point que notre propre tension s’affole dans les deux sens. Comme dans « César et Rosalie », il n’y a pas moyen de regarder les films de Sautet avec la distance et le dédain convenus du cinéphile qui en aurait vu d’autres.
Sorti en 1974, juste avant « Mado », « Vincent, François, Paul et les autres » procède également de cette veine si généreuse des années soixante-dix. Jean-Loup Dabadie, Claude Néron et Claude Sautet co-signent ce scénario si riche en protéines et en dialogues qui font mouche… Il faudra attendre le duo Bacri-Jaoui pour retrouver des scénarios aussi copieux où chaque parole, chaque image, chaque plan compte, pour produire une de ces poussées linéaires qui va du générique du début jusqu’à celui de la fin.
Cette décade-là a donné le meilleur de Claude Sautet qui nous livrera encore quelques pépites telle « Quelques jours avec moi », un film lui aussi sans erreur, sorti en 1988. Daniel Auteuil, Jean-Pierre Marielle et aussi Sandrine Bonnaire excellent dans cette histoire dont le cadre se situe dans une bourgeoisie limousine réputée trop calme et que le film chahute avec un bonheur efficace.
Pour reprendre l’un de ses titres, Claude Sautet, c’est la vie en « classe tous risques » et c’est sans doute pourquoi il y a une nostalgie tangible à l’égard de cet homme disparu en 2000. Sautet vivait encore sur Terre et non pas sur cette « planète » devenue anonyme dont on nous rebat les oreilles. Ses meilleurs titres seraient des contre-indications formelles de nos jours. On y boit trop, on y fume trop, on y aime trop, on y conduit trop vite, on y boxe même quelquefois. Aller voir cette rétrospective Sautet à la Cinémathèque relève d’une hygiène rafraîchissante mais dénoncée aujourd’hui comme éminemment toxique.
Le contraste apparu avec les années est effectivement édifiant.
Hum… Cette apologie des beaufs années soixante-dix m’étonne !
Sautet, cinématographiquement, c’est le Directoire après la Nouvelle Vague Révolution…
Ce qui est amusant, plutôt que de vanter ce cinéma daté avec « maux » d’auteur et monstres sacrément mauvais (revoir le pitoyable « Garçon » où Montand est à son pire), c’est que les contre-révolutionnaires à la Sautet se prétendent les héritiers de la Nouvelle Vague… Je pense à Assayas, par exemple…
Les films à la Sautet pullulent aujourd’hui, avec le sexe explicite et une morale moins macho (moins client de putes comme tous les mâles de Sautet)… Je pense aux films de Nicole Garcia, d’Anne Fontaine (des femmes !).
Sautet, idole de la gauche pompidolienne (oxymore à méditer !) et rêve de la droite hollandiste, est le client idéal pour une Cinémathèque parjure.
La seule bonne chose c’est qu’à force de vanter la picole, la clope et les partis de poker, il a propagé le cancer dans une classe sociale où l’hygiène de vie que vous critiquez peut générer aujourd’hui des centenaires…. Même des centenaires cinéastes… Ouf, cela donne des Oliveira pas des Sautet
Joyeuses fêtes !
Et que dire du duo magnifique Michel Piccoli – Romy Schneider dans « Max et les ferrailleurs », avec Bernard Fresson gouailleur à souhait, Georges Wilson tout en admiration polie devant Max-Piccoli et Boby Lapointe qui lit le « Journal de Tintin »…