Ancien message reçu d’Erasme le 1er décembre 2014 : « Prius duo echini amicitiam ineant ». Adepte et prosélyte d’un latin distingué et même poétique, l’humaniste hollandais voulait dire par là que « deux oursins se prendront bientôt d’amitié » autre façon de dire qui se ressemble s’assemble. Depuis le premier décembre, une toute petite partie des fameux adages d’Erasme, mort à Bâle en 1536, est disponible gratuitement sur iPad. L’idée est de faire découvrir aux enfants comme aux adultes cet écrivain prolifique et étonnant.
Très joliment mis en scène par « Les Poésies industrielles » (1), avec une ergonomie irréprochable, l’abécédaire d’Erasme nous livre un échantillonnage fort instructif des quelque 4451 formules publiées par l’écrivain en latin avec sa traduction française. Vingt cinq de ce que l’on appellerait plus communément des proverbes de nos jours viennent nous égayer facilement dans la mesure où ils sont parfois d’une actualité surprenante. Ainsi des « rossignols posés sur des bagatelles » (Lusciniae nugis insidentes ) est un adage qui, nous explique « l’appli », signifie « dépenser beaucoup d’énergie à faire des choses sans importance ». Sur un fil, des rossignols qui choient un par un, nous évoquent irrésistiblement Twitter.
Erasme cet inconnu dont on cite dans le meilleur des cas un « éloge de la folie ordinaire » qui remonte aux classes de seconde, a abattu pour ses adages quelque six millions de signes soit pour se faire une idée l’équivalent d’un certain nombre d’exemplaires d’un roman courant. Imprimés pour la première fois en 1500, ses adages numérotés comme des résolutions de l’ONU, ont connu un succès extraordinaire. L’édition bilingue complète publiée par Les Belles Lettres en 2011 se répartit sur cinq volumes ce qui nous laisse de quoi méditer durant plus d’une saison.
On peut trouver sur Internet un fort passionnant préambule (2) à ces adages, rédigé par le docteur en histoire qu’est Jean-Christophe Saladin. En 17 pages, son brief fait redescendre notre inculture d’un bon cran, autant qu’il nous dispense ses bienfaits par voie de dépaysement. Les 25 adages publiés via la tablette iPad sur le thème animalier ne sont en effet pas complètement représentatifs d’un auteur qui s’intéressait à tout. Ses formules pédagogiques ne lui appartiennent pas forcément et il avait cette particularité d’être honnête en citant ses sources (Cicéron, Horace, Sophocle, Plutarque, Macrobe…).
En nous faisant partager son érudition, Jean-Christophe Saladin emprunte aussi à l’esprit d’Erasme puisque ses explications sont accessibles, jolies et même drôles. Il y a par exemple un adage qui nous dit « abstiens-toi de fèves ». Derrière ces quelques mots nous explique-t-il, il y a Pythagore, Aristoxène, Emphédocle, Aulu-Gelle et enfin Erasme. Grâce à Saladin (mais à vrai dire notre grand-mère nous le disait aussi) on comprend qu’Erasme voulait nous conseiller de ne pas abuser des fèves pour passer des nuits tranquilles sans dérangements intestinaux mais, si on suit Pythagore qui pensait plutôt à des testicules, l’idée serait plutôt de ne pas abuser de l’amour ce en quoi nos grand-mères étaient moins disertes.
Notre historien à moustaches s’amuse donc à nous parler d’Erasme et notamment de son adage 2670 relatif à la débauche : « lesbianiser ». Où il est question de ce qui se pratique sexuellement avec la bouche. Et Saladin de citer Aristophane évoquant « la fellation ou l’irrumation » se référant lui-même sur le sujet (tenez-vous bien) à Théopompe (si, si) pour des affaires dont « jase le vulgaire ». Poète comique mort en 445, Aristophane pensait de l’acte de fellation qu’il « avait disparu depuis longtemps ».
Tout ça pour dire que la découverte d’une application sur iPad peut mener assez loin jusqu’à acheter chez Les Belles Lettres les cinq volumes traduits, photographie de la version sortie en 1536.
(1) Les Poésies industrielles à qui l’on doit déjà sur iPad, La grenouille et le bœuf
(2) Accéder au fichier PDF de Jean-Christophe Saladin
Aussi instructif que rigolo !