L’exposition est tellement bien faite qu’au début on s’y laisse prendre. « Revoir Paris » à la Cité de l’architecture et du patrimoine, revient à se confronter au Paris des utopies. Il y a des présentations fort intéressantes de ce qui aurait pu advenir dans la capitale (buildings de type américain des années vingt, aéroport intra-muros) et de ce qu’il est advenu (constructions haussmanniennes, chantier de la Tour Eiffel…). Voilà pour l’écrin. Le centre est en partie occupé par les très belles planches d’une bande dessinée réalisée par François Schuiten et Benoît Peeters pour les scénarios et dialogues.
Franchement il serait intéressant de connaître dans le détail, depuis la genèse jusqu’à l’aboutissement, tous les rouages de l’organisation de cette exposition. On a du mal à croire qu’à un moment, personne ne s’est demandé s’il était bien normal qu’un établissement public ne s’inquiète pas d’une telle mise en avant d’un album de bande dessinée, via une exposition dont les deux commissaires sont les auteurs dudit album. Quant au titre de l’exposition il se confond avec celui de l’ouvrage.
Sur le fronton de cet édifice, il y a l’affiche « Revoir Paris » représentant une œuvre esthétiquement réussie (non extraite de la BD) de François Schuiten. Avec son ami Benoît Peeters, il a supervisé un travail de scénographie qui place son travail au centre. Leur idée écrivent-ils « est de faire dialoguer » leurs dessins et leurs travaux « avec des projets d’architectes et d’urbanistes réalisés depuis deux siècles (…). Et de conclure que l’expo « Revoir Paris » est « l’occasion de rêver librement l’avenir de la capitale » .
On se laisse séduire par l’héroïne de la BD, un personnage qui réussit à « revoir Paris » en utilisant une drogue spéciale laquelle lui permet un retour dans le passé, car l’action générale se déroule en 2156, loin de la Terre. Avec une faiblesse bien pardonnable compte tenu de la beauté de ses planches, Schuiten promène Kârinh en petite tenue, dans un univers qui nous transporte également avec bonheur dans des perspectives parisiennes agréablement revisitées.
C’est comme ça que l’on se retrouve à la librairie qui clôt la fin du parcours. La pile d’albums « Revoir Paris » de la maison Casterman est là en évidence. Quinze euros ce n’est pas cher pour rêver encore. Dans l’album, toutes les belles planches sont bien au rendez-vous avec il vrai, une déception due à un scénario banal et des dialogues à l’avenant. Extrait : « Tu m’avais menti, Mikhaïl ! Moi je te faisais une confiance absolue et toi tu me racontais n’importe quoi ». Réplique : « Mais Kârinh… je n’y étais pour rien. Il avait été décidé en haut lieu de ne jamais parler des circonstances de ta naissance ». L’utopie y perd des plumes.
La Cité a manqué un peu de jugement, disons-le. Le fait que les deux auteurs aient été bombardés commissaires et donc chefs d’orchestre de leur propre mise en scène centrale, moyennant un emballage scénographique voué à l’histoire parisienne, laisse songeur.
Certes une exposition enclenche toujours une dynamique promotionnelle mais il y des formes à respecter, un dosage à mesurer, un peu de discernement supplémentaire aurait été bienvenu. Contacté par Les Soirées de Paris, l’un des responsables de la communication, n’y voyait rien à redire, plaidant au contraire pour un certain « équilibre d’ensemble » sur un sujet d’actualité au moment où la construction de la tour Triangle à l’ouest de Paris entretient une polémique sur l’avenir de la capitale.
Avec la rétrospective Bilal au musée des Arts et métiers qui s’était terminée en janvier 2014 et dont le titre était propre à l’événement, cette perception gênante n’apparaissait pas ou bien moins. Bilal, également auteur chez Casterman était co-commissaire, Dassault Systèmes signait pareillement certains effets spéciaux… Il serait intéressant d’expertiser plus avant en quoi l’équilibre était mieux assuré. « Revoir Paris » reste une bonne expo mais se voit affectée par un écart de curseur.
Cité de l’Architecture et du Patrimoine, jusqu’au 9 mars