Et la fumée fut. Etait-ce là le commandement d’une metteur en scène inspirée ? La fumée c’est celle qui plane dans le royaume d’Ecosse, pays de magie et de sortilège. Le général Macbeth revenant victorieux contre les Norvégiens, croise trois sorcières lui prédisant un sort de roi. Décidant de forcer le destin, il tue le doux Duncan, sa suite et tous ceux qui s’opposent à lui. Accompagné de la terrible Lady Macbeth, il gravit toutes les marches sanglantes qui le mènent au trône tant désiré, y laissant au passage une part de sa raison.
Cette fumée est alors celle qui envahit les cerveaux douloureux de nos deux criminels. Symbole autant que truc théâtral, elle permet l’apparition et la disparition des comédiens et nimbe la scène d’une aura mythique. Elle finit par se glisser entre les sièges des spectateurs et nous attire dans le royaume sans sommeil du mal absolu. Quelque chose de la coupure si rassurante entre le théâtre et notre monde s’efface, en même temps que cette « barrière de feu » de la rampe. Nous voilà nous aussi, rêveur éveillé, contemplant nos semblables, nos pires frères.
Des coups de sabots contre des stalles comme des coups de buttoir dans un cerveau malade, un mort sanglant qui sort de terre et prend sa place au festin, un roi malade qui s’enfonce dans le sol pour saisir une lame qui n’existe pas, ce roi qui finit dans un bunker hitlérien, prisonnier de son obsession. Ariane Mnouchkine et ses comédiens ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils tentent de faire voir quelque chose de la folie des hommes. Le spectacle regorge de trouvailles scéniques (les tables tournantes), de décors évocateurs (la roseraie de Lady Macbeth). Le Soleil ne serait-il lui-même que dans l’ombre ? Le travail des lumières, justement, est remarquable. Des réverbères arrachent à la nuit du mal quelques espaces de parole. En comparaison, toutes les scènes politiques où le roi apparaît tout sourire, avec son armada de journalistes, nous semblent un peu convenues et dépourvues de la force d’évocation des scènes nocturnes.
Reste à saluer enfin, la formidable troupe de comédiens. Beaucoup de seconds rôles sont épatants : les trois sorcières drôles et grinçantes à souhait, l’hilarant portier du château de Macbeth, Macduff éploré après la mort des siens, Malcolm le roi légitime, expert dans l’art du retournement et bien d’autres. Le couple tyrannique est plus inégal. Macbeth (Serge Nicolaï) se révèle surtout dans les derniers actes lorsqu’il bascule dans une lucide folie ; en revanche, sa Lady (Nirupama Nityanandan) peine à convaincre. Le jeu, manquant de variation et de puissance tragique fait de Lady Macbeth une créature un peu falote, à l’exception peut-être de sa scène du bain. Mais la folle énergie de la troupe l’emporte finalement et nous entraîne dans son voyage au bout de la nuit. On sort de là un peu sonné, dans l’obscurité de la cartoucherie qui semble bien inoffensive après les horreurs écossaises. Il paraît qu’on fêtait là les 50 ans du Soleil. Une pièce bien sombre pour un anniversaire… mais dans un théâtre avec tout l’éclat de son art !