Né en 1932, Erró a connu de nombreuses époques et sa peinture avec. C’est sans doute la raison pour laquelle la rétrospective que lui consacre de son vivant le musée d’art contemporain de Lyon ouvre sur une étrange accumulation d’œuvres qui évoque soixante ans de l’histoire mondiale… et autant d’années de la vie de l’artiste.
Une accumulation de tableaux accrochés les uns sur les autres, où l’on trouve pêle-mêle la copie d’un Courbet, celles d’un Léger et d’un Picasso. Surgissent aussi du fatras les visages de Frida Kahlo, de Nelson Mandela derrière les barreaux ou de Staline haranguant la foule. Comme si tout devait être dit là de l’immense production de cet artiste, islandais et francophile, installé en France depuis 1958. Heureusement, la suite de l’exposition – chronologique et thématique, qui s’étend sur plus de 3000 mètres carrés et court sur trois niveaux –, réserve beaucoup de bonheur et de belles surprises.
Ce jour-là, au MAC de Lyon, la foule se presse. On vient voir Erró en famille. C’est certain, il y en aura pour tous les âges et pour tous les goûts. D’ailleurs l’affiche de l’exposition ne l’annonce-t-elle pas ? Erró est un peintre dont l’univers est celui des « comics ». Dans le cadre de cette rétrospective, Erró a fait une donation de 124 œuvres à la ville de Lyon dont, en effet, le « Silver Surfer Saga » (1999), une toile de trois mètres par cinq qui a servi à réaliser l’affiche de l’exposition. Pour aller admirer le Surfer d’argent certains visiteurs passeront donc assez vite les premières salles, où figurent les peintures de jeunesse de l’artiste, et c’est regrettable : Erró dans les années 1950 a été fortement influencé par l’expressionnisme et par Edvard Munch en particulier. Le public averti fera une halte pour contempler « Les Carcasses » (1955) ou « Save Our Child » (1958) qui doivent beaucoup à l’auteur du « Cri ».
Le premier niveau de l’exposition est consacré à la période 1955-1964 où les recherches picturales d’Erró vont prendre des détours savoureux tout autant que fondateurs de sa démarche artistique à venir. Ces années là témoignent de l’influence du dadaïsme et du surréalisme dans l’œuvre d’Erró, après que son ami Jean-Jacques Lebel le présenta à André Breton et Marcel Duchamp. Les adeptes du mouvement Dada se régaleront dans la salle consacrée aux Mecamasks (séries de masques anthropomorphes fabriqués à partir de matériaux de récupération) qui ont été à l’origine des décors et accessoires du film expérimental d’Eric Duvivier : « Concerto mécanique pour la folie ou La Folle Mécamorphose », dans lequel un certain Jacques Igelin (Higelin) y tient le rôle masculin.
En 1958, lors d’un séjour en Israël, à Jaffa, Erró commence une série de dessins-collages baptisés « Démasquez les physiciens, videz les laboratoires », en réaction à la venue à Paris de Jacob Robert Oppenheimer, l’un des pères de la bombe atomique. A cette date, le collage fait son entrée dans la pratique artistique d’Erró et n’en sortira plus. L’artiste compile, découpe et assemble sans relâche des photos, dessins ou illustrations puisés dans des revues scientifiques ou techniques, qu’il acquiert auprès de bouquinistes ou de revendeurs spécialisés dans le déstockage de magazines. Si le collage fait partie des pratiques chères aux dadaïstes, Erró sera le premier à transposer les siens en peinture. Peu à peu, toutes ses peintures seront précédées de collages, esquisses d’abord cachées au public et finalement montrées au même titre que les œuvres. Car pour Erró une transformation s’est opérée : « les collages sont [devenus] les originaux, les tableaux les copies ». Sa technique de composition à deux temps (collage puis peinture) va se systématiser et devenir la clé unique de production de son œuvre.
En 1964 l’artiste se trouve à New York. Témoignant de l’abondance de la société de consommation et de la saturation visuelle, Erró entame une série de « Scape », sorte de vastes panoramas dans lesquels il accumule une multitude d’images différentes d’un même sujet (aliments, voitures, personnages de bande dessinée), expérimentant parfois des techniques de mise en avant de l’objet comme pour figurer une image en 3D. « Fishscape » (1974) a coûté à l’artiste plusieurs mois de travail de huit à dix heures par jour : « J’ai commencé par faire deux collages. Dans le premier j’ai mis mes poissons à plat, dans le deuxième j’ai utilisé une feuille de cellophane pour que mes poissons puissent sauter en l’air et se détacher du fond. » Il y a peu de chances que vous la manquiez mais la salle des « Scape » est tout à fait spectaculaire et il faut prévoir d’y rester un long moment pour les apprécier pleinement.
Une grande partie de l’inspiration d’Erró vient de l’Histoire ou de l’histoire des arts, les deux s’interpénétrant souvent. Le peintre pille littéralement l’univers de la bande dessinée comme celui des images de la propagande russe, chinoise ou cubaine. Dans ses toiles il réinterprète Ingres ou Jérôme Bosch, croque Jackson Pollock, et aime inlassablement revenir à Picasso. Il n’a de cesse de créer des séries, des groupes, car à ses yeux un thème n’est valable que s’il peut être décliné en une vingtaine de tableaux. Agréable surprise au deuxième étage : dans la série « Les poètes » nous attendait assis dans son uniforme de soldat « Apollinaire » (1979). Un tableau réalisé, a priori, d’après le dessin original de Picasso à son ami : « Guillaume Apollinaire blessé » (1916).
Pour en voir un peu plus :
Erró « Rétro-spectif, des Mécamorphoses aux Chinois, 1959-1979 », jusqu’au 22 novembre. Galerie Louis Carré, 10 avenue de Messine, Paris 8ème.
Je ne connaissais pas, j’adore, merci
Merci, et très heureuse de faire découvrir cet artiste créatif et assidu, qui passe parfois, à tort selon moi, pour un plagiaire, et qui est toujours surprenant. J’ai moi-même appris de cette rétrospective, notamment sur ses oeuvres de jeunesse et ses inspirations nombreuses. Comme je l’indique en fin d’article, la galerie Louis Carré à Paris, qui est aussi son représentant, expose quelques unes de ses oeuvres. Par ailleurs, autour de cette rétrospective sont organisées un grand nombre de manifestations ou expositions comme à Givors (69) où à lieu une rencontre avec Erró le 3 décembre (lamostra@villedegivors.fr).
En partenariat avec le Musée d’Art Contemporain de Lyon, la ville de Givors, a aussi son exposition Erro.
Des dessins préparatoires « Fuck….. » 8 digigraphies de la série Mao, et ses premiers dessins il avait alors 18 ans et un tableau série des « Pin Up » qu’Erro a donné à une givordine lors de biennale d’Art Contemporain 2013.
Ce don faisait suite à un projet de Monsieur Raspail (Directeur du MAC). Erró a participé au projet Chez Moi de Veduta dans le cadre de la Biennale d’art. Il a été demandé à 70 artistes de créer une oeuvre et que celle ci soit, durant 2 mois, chez des habitants lambda de la région lyonnaise.
J’ai eu le bonheur d’avoir moi même une oeuvre de R.Gober.
Pour revenir à Givors, l’exposition peut être admirée jusqu’au 13 décembre, moins importante quant aux mètres carrés mais tellement magnifique pour les oeuvres présentées dans ma petite ville.
Je me dois de rajouter que le 3 décembre, Monsieur Erro nous fera l’honneur et le plaisir de venir déjeuner et nous présenter une vidéo, à la mairie.
Il serait agréable, pour nous givordins, que cet événement soit médiatisé tout comme celle de Lyon.
En tout cas, j’ai eu le bonheur de rencontrer Erro, quel homme génial et généreux,
et bénévolement fait la médiation* à la Mostra pour les visiteurs.
*Formation avec Régis Gire Chargé de l’action culturelle au Musée d’art contemporain de Lyon mais ce n’est pas mon métier
Merci de cette précision. Avec l’expression de notre sympathie pour Givors. PHB
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