Les mémoires de guerre d’Algérie d’un môme qui ne l’a pas connue

Delphine Renard en couverture de L'Humanité. Arrangement image: Les Soirées de ParisAinsi commença pour moi la guerre en Algérie, au moment même où elle s’achevait. C’était un visage, le visage d’une fillette, un visage ensanglanté. Un visage qui ne m’a jamais quitté et que j’ai retrouvé presque immédiatement sur Internet.

Je devais avoir six ans. Elle en avait cinq. Delphine Renard a été victime d’une bombe de l’OAS le 7 février 1962 qui visait le domicile de son oncle André Malraux. Elle a perdu son œil droit déchiré par des éclats de verre. La photo de son calvaire a indigné la France. Elle perdra définitivement son autre œil, le gauche, en 1988. Delphine Renard est devenu psychanalyste.

Image d’une guerre, que le môme que j’étais glanait quand je traînais dans la petite rédaction locale du quotidien « Le Courrier de l’Ouest » à Saumur. Je me rappelle de la calotte d’un crâne humain qui servait de cendrier, plus tard elle a disparu.

La guerre qui s’achevait en Algérie était aussi longue que la vie pour moi et même davantage. Je cherchais dans la presse les bandes dessinées. Je crois qu’il y avait Pim, Pam, Poum, des garnements tout droit sortis de Comics américains. Un jour je vous en causerai. Je regardais aussi les photos.

Le FLN salua à sa manière la fête des morts, entre le 31 octobre et le 1er novembre 1954 une trentaine d’attentats qui firent dix morts et réveillèrent les Français d’Algérie. Ils ne se sont jamais rendormis. Je ne naîtrais qu’un peu plus d’un an  plus tard.

Delphine Renard en couverture de L'Humanité. Arrangement image: Les Soirées de Paris

Couverture de L’Humanité. Arrangement image: LSDP

La presse quotidienne vivait ses heures de gloire, qu’elle soit parisienne ou provinciale, il était alors impensable qu’elle puisse un jour disparaître. On y lisait la somme de toutes les vies avec pour chacun des journaux, sa manière de les raconter en ajoutant ici une pointe de romanesque pour émouvoir le lecteur buvant son bol de café,  le journal étalé sur la toile cirée de la table à manger et là une pointe de réalisme  pour faire grand reportage même si ça ne s’impose pas.

L’Algérie s’enflamme, la presse invente « la Toussaint rouge ». Certaines victimes vont être rapatriées, ils ont le droit à une cérémonie pour les accueillir. Raymond Silar était aussi correspondant de « L’Aurore ». Il envoie pour l’occasion un papier. A l’époque il était courant qu’un secrétaire de rédaction réécrive systématiquement les papiers, histoire de  faire « style ».

Le lendemain le lecteur découvre dans « L’Aurore », une scène émouvante : la foule des amis et des parents qui attendent sur le quai de  la petite gare de Doué la Fontaine, une fanfare peut-être, une banderole de bienvenue sûrement. Raymond Silar, qui est né tout près de Doué, aura beaucoup de mal à s’expliquer auprès des gens du coin venus lui demander des explications. Pourquoi ? Un détail, il n’y a pas de gare à Doué la Fontaine.

La petite rédaction de Saumur a connu ses moments d’émotion. En 1956, l’avion transportant Mohamed Ben Bella ainsi que quatre membres de la direction politique du FLN, est détourné et les dirigeants algériens arrêtés par les forces françaises. Une énorme erreur de stratégie mais la France n’en n’était pas à une près. Du 20 mai au 26 octobre 1961, ils sont assignés en résidence surveillée au château de Turquant, non loin de Saumur. L’armée française et les CRS occupent  le petit bourg suivis par une horde de journalistes. Un jour, un journaliste lance à ses collègues : « On pourrait inviter le colon à venir prendre un café ? » Peu après, le colonel sort de son QG et se dirige vers le groupe :  « Alors messieurs, vous voulez m’offrir un café ? » Il y avait des micros partout. A l’époque cela pouvait surprendre.

Ben Bella et Nasser. Source image: Wikipédia. Auteur inconnu

Ben Bella et Nasser. Source image: Wikipédia. Auteur inconnu

Comment approcher les « invités de la France ? » On peut imaginer que les soirs, un peu éméchés, les journalistes en faction ont dû en parier des caisses de champigny. Pourtant c’est à un jeune journaliste du « Courrier de L’Ouest » à qui l’on doit l’exploit d’être rentré dans le  château. Une boîte à outils en bandoulière, casquette Bigeard sur le crâne, il parvint à franchir les sécurités en se faisant passer pour un plombier. Personne, il se perdit dans les couloirs du château et revint bredouille mais néanmoins victorieux. L’officier chargé de la sécurité n’eut sans doute pas droit à une caisse de champigny.

Je ramassais les rouleaux vides qui avait contenu les films  6X6, neuf ou douze poses par rouleau, l’erreur du temps de pause était interdite, je me souviens des ampoules pour les flashes, recouvertes d’une couche plastique pour éviter qu’elles n’explosent.

Parfois la guerre prend des allures de faits divers. Les restaurants étaient rares à l’époque, les grandes tablées du samedi soirs étaient les bienvenues et les menus pantagruéliques (c’est la région) offraient plusieurs entrées, poissons et viandes, fromages et desserts. Ce soir là au moment de présenter l’addition, les rires des convives se transforment en rictus. L’un des clients s’adresse au patron : « on était en patrouille,  nous n’avions plus d’eau, nous sommes passés devant ta ferme ; on t’a demandé de l’eau, tu nous l’as fait payer, aujourd’hui tu vas nous offrir ce repas… » Ca devient compliqué quand on est môme.

 

Sources: Histoires vraies de la presse régionale

La somme de toutes les vies Par Raymond Silar
Préface et épilogue de Bruno Sillard
Ed. L’Harmattan

Lire un interview de Delphine Renard devenue adulte

 

 

 

 

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