C’est un immeuble à étages. On y accède par des escaliers droits ou en colimaçon. Une maison de poupée contemporaine avec tous ses accessoires comme on en trouve chez les marchands de jouets à l’approche de Noël. Recto, voici la façade avec son linge qui pend aux fenêtres, ses tags colorés sur les murs défraîchis, ses paraboles hérissées sur le toit.
Verso, on a une vue plongeante sur des pièces aux murs recouverts de papier peint en couches collantes de souvenirs du passé. Des intérieurs que la plus gâtée des petites filles s’émerveillerait de voir à ce point meublés. Car rien n’y manque, du casque-séchoir à cheveux permanentés au crucifix accroché à l’entrée de la loge de la concierge. Il est bien loin le temps des Almoravides…
C’est une vraie maison, pas une de celles que décrit la chanson avec murs en carton et escaliers en papier, qui sert de décor au Barbier de Séville, le plus célèbre opéra-bouffe de Rossini à l’Opéra de Paris. On est chez Bartolo, ce vieux tuteur aux visées aussi crapuleuses qu’amoureuses sur sa jeune nièce, qu’imagina Caron de Beaumarchais et avant lui Scarron. Le logement s’éclaire, s’anime et pivote sur lui-même. Jusqu’à en donner le tournis au deuxième acte. Comme étourdissent les constants mouvements des résidents, dont huit seulement à fournir une prestation musicale. A voir tout ce petit monde saluer au tomber de rideau, on se félicite, c’est autant de dossiers en moins à régler par Pôle Emploi.
A Bastille, le microcosme sévillan inventé par le dramaturge français est revisité (intérieur et costumes) par Almodovar. Pourquoi pas. Mais le mieux est l’ennemi du bien. Dans la foultitude des détails qui s’offrent à la vue du spectateur aime à se cacher le diable. L’œil s’y perd, l’imagination s’y noie, l’attention s’y dérobe au point de lâcher le fil – saccadé – du livret. Le cru du réel l’emporte sur le flou de l’évocation, la vue prend le pas sur l’ouïe, c’est dommage.
Au sortir du spectacle, on en reste encore à la grandiose finale du premier acte qui réunit les six interprètes, le chœur et l’orchestre. Elle démarre quand Almaviva/Lindore s’introduit dans l’immeuble de Bartolo en soldat apparemment ivre et que chacun mêle son grain de sel. On a droit à une scène paroxystique, hilarante et lyrique dont les ruptures de rythme et les crescendos chers au compositeur embarquent le spectateur dans un tourbillon délirant irrésistible. Avec la fugue vivace frénétique » J’ai l’impression d’avoir la tête dans une horrible forge« , on a assisté au bouquet du feu d’artifice. Un peu prématuré… il reste un acte entier. On bisserait volontiers l’ébouriffant passage au lieu et place d’autres moins convaincants.
Soyons honnêtes, le comble pour cet opéra serait de passer sous silence sa magistrale ouverture dont on ne se lasse pas. Elle est de celles qui ont déjà servi (dans d’autres opéras) mais qui jamais ne s’usent. Le comble serait pareillement d’omettre l’air de la calomnie tant il se vérifie que la mémoire (auditive) en garde empreinte. Enfin, un coup de sombrero s’impose pour saluer la contribution de l’orchestre qui, d’un bout à l’autre du spectacle, sait appuyer de ses cuivres là où ça fait du bien.
De la distribution également on garde un souvenir sélectif. Réservant nos yeux de Chimène à ce filou d’entremetteur de Figaro que campe le jeune Florian Sempey. Révélation « artiste lyrique » aux Victoires de la Musique 2013, l’alerte et jovial baryton (dont la biographie oublie de mentionner l’âge) a déjà fait ses preuves. Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années pour s’illustrer dans des opéras comme Carmen, Castor et Pollux, La Traviata, Madame Butterfly.
Qu’il nous soit permis de blâmer. Malgré l’exubérance des décors, l’élaboré de la mise en scène, le nombre des figurants et la subtilité de certaines trouvailles scéniques, Le Barbier de Séville n’a pas emporté ma conviction. Il m’a plusieurs fois laissée sur le fil du rasoir.
Jolie critique, tranchante et enlevée. Merci !