Lorsque sa foi vacille comme la flamme d’une bougie, le fidèle se rue sur le dernier ouvrage d’Emmanuel Carrère espérant y trouver un viatique. Il est ce pèlerin égaré apercevant un point d’eau au milieu du désert. Las, la lecture du livre s’avère aussi aride que la traversée de l’erg et la soif de certitudes à mille lieues d’être épanchée. Publié chez P.O.L, Le Royaume (avec un grand R) n’a rien d’une potion magique propre à ranimer les credo chancelants. Et sa lecture rien d’un parcours de villégiature. Mais bon quand on est croyant…
Dans sa première partie intitulée la crise, l’auteur inflige au lecteur l’overdose de liturgie qu’il s’est lui-même imposée il y a une vingtaine d’années. Avec une impudeur qui laisse pantois, Emmanuel Carrère dit tout de son cheminement spirituel, de sa conversion, de ses pratiques religieuses et psychanalytiques. Il ne nous épargne rien de sa longue marche vers l’Eucharistie – sacrement qu’il s’est longtemps jugé indigne de recevoir. Aujourd’hui, à la question « Etes vous chrétien ? », ce génétiquement tourmenté confie être devenu « Un sceptique, un agnostique – même pas assez croyant pour être athée« . Tout ça pour ça… Pour passer de l’effroi d’être insuffisamment pieux à la terreur d’être abandonné de Dieu.
Le reste de l’ouvrage s’attache au premier siècle de la chrétienté. Sujet original et terrain glissant. Pour avoir lu, analysé, digéré, confronté un nombre hallucinant d’ouvrages (Ecritures saintes, œuvres de philosophes et d’historiens), l’auteur pense être en mesure de lever un coin du voile sur le « trou noir judéo-chrétien » du début de notre ère. Il livre son travail de bénédictin, hyper documenté mais brouillon, sur cette chrétienté balbutiante qu’il nomme « groupe de juifs séditieux« , « petite secte galiléenne« . Il n’est qu’un converti pour s’autoriser des termes chargés d’opprobre en terres catholiques.
L’écrivain s’est donc employé à percer les secrets de ce petit cercle des disciples disparus. Les Pierre, Jacques, Jean, Marc et les autres… Il a suivi à la trace « ces vies minuscules contre théologie majuscule » à l’origine de l’Eglise avec un grand E. Il estime signer là une enquête plutôt qu’un roman ou un livre historique. Là est le handicap de l’ouvrage : lourdeur des comptes rendus d’investigations, manque d’ordonnancement des événements relatés, absence de fluidité de la lecture. Suralimenté, le livre est fastidieux d’un bout à l’autre. Même si l’écrivain s’autorise ici ou là – et c’est heureux – une onction de psychologie des personnages, un oliban d’imagination ou d’avis personnel sur un événement, voire une petite burette de delirium onaniste surprenante (!?). On est plusieurs fois tenté de le laisser tomber ce pavé (630 pages) que d’aucuns qualifient de chef d’œuvre et qui figure en tête du des ventes.
Le moins fastidieux du pensum reste les portraits quasi familiers qu’il dresse de ces deux « routards » de la chrétienté que furent Paul et Luc. Paul (Saul avant sa conversion) est un « trublion déviationniste« . Passé de « piètre rabbin » persécuteur zélé des premiers baptisés (mais ça, c’était avant que Dieu ne lui parle sur le chemin de Damas) il enchaîne sur globe trotteur de l’évangélisation chrétienne. Ombrageux, jaloux des premiers disciples du Christ, ce tisserand intransigeant a aussi ses faiblesses.
Luc est l’érudit de la bande. Au départ curieux des prescriptions drastiques du Lévitique, ce médecin grec s’est par la suite mis dans les pas de Paul. Embrassant une longue carrière apostolique. Emmanuel Carrère tire une grande partie de son enquête des écrits de ce voyageur homérique, diplomate et soucieux de concret, ça tombe bien. Quant à Jésus, l’écrivain le dépeint tour à tour comme un guérillero, « le gourou de la secte » ou « l’agitateur crucifié« . Question visage, le Fils de Dieu fait homme possède les traits de tous et de personne. Sorte d’hologramme divin que ses proches mêmes peinent à reconnaître à sa résurrection.
L’humour perce comme une respiration dans cette ambitieuse œuvre littéraire. Notamment quand Emmanuel Carrère actionne la machine à accélérer le temps. Imaginant Jésus et Jean son disciple bien aimé sous les traits des héros turbulents d’Il était une fois en Amérique. Ou quand, jubilatoire, le fils d’Hélène Carrère d’Encausse assimile les bisbilles entre anciens et nouveaux convertis aux rivalités internes du parti soviétique. Rapprocher les Douze des bolchevicks, il fallait oser.
Tiré de notes conservées comme par miracle, Le Royaume doit son existence à une panne d’inspiration littéraire – panne dont l’auteur s’ouvre avec une touchante humilité. Car Emmanuel Carrère est ce mélange d’orgueil et de modestie. Il dit emprunter le « je » par simplicité mais dans le même temps confie sans ironie apparente « vivre dans le culte et le souci perpétuels de sa personne« . Un ego surdimensionné qui l’amène à faire dans son dernier ouvrage références appuyées à ses anciennes publications. Livre confession, livre promotion… Puisqu’il n’y a pas de mal à se faire du bien.
Le Royaume. Emmanuel Carrère. P.O.L 640 pages, 23,9 €
C est le prochain livre sur ma table de chevet. Guillemette, je ne suis pas complètement découragée par ta critique critique. Mieux, ça me laisse l option de la bonne surprise, malgré tout…
D’autant que, pour être honnête, il finit bien mieux qu’il commence. Il faut juste une bonne dose de patience ! Bonne lecture Marie !
En effet, Guillemette, les dernières pages sont pas mal, sans valoir tout à fait la peine des 600 précédentes. Je ne comprends pas l’engouement autour de ce livre. L’auteur lui-même ne cesse de le clamer, le Royaume n’est rien face à la Vie de Jésus d’Ernest Renan (j’y ajouterais le récent Jésus de Jean-Christian Petitfils). Emmanuel Carrère se raconte comme d’habitude, il s’étale, il est le centre de l’ouvrage, le centre du monde. Angle que j’ai adoré avec le Roman russe ou d’autres vies que la mienne, qui m’embête un peu s’agissant du christianisme. L’auteur est maître de ces mots, mais mêler religion (tiens, quelque religion que ce soit d’ailleurs) avec les états d’âme de séances de psy d’un petit bourgeois parisien …
Bon cela ne fait pas de mal tout de même, pour un roman français contemporain ce n’est pas si mal …
Après une lecture laborieuse, je confirme les propos de Guillemette et de Benoît, mais il a fallu que je résiste pour ne pas filer trop vite vers la fin dont je savais donc qu elle serait meilleure !!!