Il est encore possible de distinguer le goulot de cet éclat géant. Ce dolium qui marque l’entrée de la toute nouvelle exposition du Musée national de la Marine pouvait contenir de deux à trois mille litres de vin soit dix à vingt fois la capacité de nos barriques en bois. Leur disposition était tellement délicate dans les navires à dolia qu’il en coûtait parfois des naufrages aux opérateurs.
« De l’amphore au conteneur », tel est le titre limpide de cette exposition qui se veut pédagogique et s’avère en tout point passionnante pour les néophytes. Quatre vingt pour cent du commerce mondial se fait par voie maritime. La scénographie nous embarque de l’antiquité à nos jours pour un voyage au long cours.
En deçà du dolium, il y a bien sûr les amphores, bien connues des plongeurs amateurs. Bavardes, elles vont jusqu’à nous indiquer le poids du contenant vide, celui du produit transporté, le nom du marchand, du producteur ou du domaine, une date, un port d’embarquement, la marque du contrôle douanier. Ces amphores pouvaient contenir de l’huile, du vin, des olives, des dattes et aussi du garum une sauce comparable au nuoc-mân dont un dispositif sensoriel de l’exposition nous donne à connaître l’odeur moyennement appétissante.
L’essor de la marine marchande à travers les âges est ici présenté au moyen de nombreuses maquettes de bateaux, y compris avec les connaissements, ces contrats de chargement qui formalisaient la liste des différentes matières et produits.
Pour qui aime les bateaux, il y a de quoi se régaler. Qu’il s’agisse de navires hauturiers ou de barques fluviales, le visiteur trouve également de quoi rêver. Certaines peintures et gravures étonnantes nous montrent les ports du Havre et de Marseille au faîte de leur activité marchande. L’embouteillage de mâts à Marseille quadrillait littéralement l’horizon de son port.
Avec l’invention du conteneur en 1956 par l’américain Malcom Mac Lean, le transport s’est rationalisé. L’usage de différentes couleurs pour ces boîtes métalliques en fait une masse singulièrement photogénique ce que démontre avec bonheur la dernière partie du parcours. Un porte-conteneurs, apprend-on, peut en charger jusqu’à 18.000 soit six fois la capacité des meilleurs bateaux des années soixante-dix.
Cargos à tout faire, vraquiers, bananiers, bateaux citernes, pétroliers, la marine marchande sillonne les mers avec un entêtement égal depuis les phéniciens. De nos jours, des sites comme shipfinder (1), permettent de visualiser en temps réel le trafic mondial et de réaliser l’intensité du trafic.
Dans deux mille ans, s’il en subsiste, les archéologues se passionneront pour les conteneurs. Et le Musée national de la Marine, s’il tient toujours debout, organisera peut-être une exposition qui nous expliquera comment un ingénieur aura fait tenir toute une cargaison de bananes dans une simple clé USB. Une projection qui relève actuellement de la dystopie, soit l’exact contraire de l’utopie.
(1) Shipfinder
De l’amphore au conteneur, jusqu’au 28 juin 2015.
Cet article est spécialement dédié à Bernard Cassagnou, conseiller scientifique et prêteur de l’exposition, capitaine au long cours, docteur en histoire, auteur des « Grandes mutations de la Marine marchande française ».
Photogénique et passionnant.