Avec Mommy, c’est un film coup de poing et dérangeant que signe le jeune prodige Xavier Dolan. Son cinquième, pour lequel ce jeune producteur réalisateur canadien de vingt-cinq ans a obtenu le Prix du Jury au dernier Festival de Cannes. Ex aequo avec l’octogénaire Jean-Luc Godard pour son Adieu au langage.
Nous sommes en 2015 dans un Canada qui aurait adopté une loi autorisant les géniteurs dans le besoin à abandonner leur parentalité. Refusant cette solution extrême, une veuve belle et encore jeune décide de scolariser à domicile son fils Steve (Antoine-Olivier Pilon) qui vient d’être expulsé d’un établissement fermé d’éducation. Quoique dépassée par la violence de l’adolescent, Mommy (Anne Dorval) va tout faire pour le garder auprès d’elle et chercher à subvenir à leurs besoins. Elle est aidée en cela par une énigmatique voisine, Kyla (Suzanne Clément), professeur en situation d’année sabbatique.
Amour, jalousie, agressivité cimentent les rapports au sein du trio. Steve est un gamin touchant avec ses grimaces de sale gosse, sa mèche à la Justin Bieber, son walkman vissé à l’oreille et son skate chevillé aux talons. Il est plein de colère désinhibée. C’est une mèche que la moindre étincelle fait exploser. Il a une gueule d’Ange déchu, mi-séraphique mi-démon… Plutôt que de TDAH (trouble du déficit de l’attention avec hyper activité), c’est de tourment de l’attachement que souffre cet hyper émotif. Il vit dans l’insécurité émotionnelle depuis qu’il a perdu son père. D’une jalousie maladive à l’égard de sa mère, il redoute de perdre ne serait-ce qu’une once de l’amour qu’elle lui porte.
Exclusive, excessive, récurrente, cette peur de perdre sa seule amour nourrit son agressivité qui elle-même se nourrit de cet Alien. Mortifère cercle vicieux que met superbement en scène le jeune Dolan.
La scène où Steve offre à sa mère une chaîne de cou est insoutenable de paroxysme de souffrances physique et psychique partagées. Cette Mommy tient de la mère courage. Elle encaisse tout sans rendre les coups, les puérilités du rejeton comme ses méga bêtises. Et si on la voit ruminer, c’est juste de chewing-gum…
Elle aussi vit dans la terreur de ce que l’ado va bien pouvoir inventer pour lui rendre la vie plus difficile encore. Kyla , tout en retenue, est cette voisine fragile mais déterminée qu’un traumatisme a rendue bègue. Lequel ? On pense à un viol jusqu’à ce qu’on entre aperçoive furtivement des photos encadrées posées sur le buffet de sa salle de séjour. Elles offrent une plausible explication au singulier attachement qu’elle porte au sale gosse.
Une scène de liesse opportune laisse le spectateur souffler. Elle procure d’autant plus de gaieté que l’horizon s’assombrit. On y voit les trois protagonistes chanter à tue tête sur un air de Céline Dion, en amorçant quelques pas de danse sans équivoque ni vulgarité. Enfin une bonne soirée ! Toute autre est l’ambiance qui préside à la reprise du tube Vivo Per Lei en forme de karaoké raté. L’orage a éclaté et la colère se lit dans l’œil du gamin furieux de voir sa mère se faire draguer par un usurpateur. Il endure sous nos yeux les affres de la jalousie d’un Swann amoureux, devinant son Odette auprès d’un autre, derrière la fenêtre éclairée.
La caméra de Xavier Dolan filme à l’efficace, sans chichi. Elle virevolte à nous ébranler la tête sous les coups de poing assénés. Nous laisse KO assis. Elle s’attarde en gros plan sur les visages. Bien vu tant ils sont expressifs. La musique épouse -et même devance- la montée des tensions. On sait le drame inévitable depuis que l’adolescent est rentré chez lui. Reste à savoir quand et comment. Steve, c’est l’Allan Murchison de Julien Gracq. L’ombrageux blondinet a déclenché le top départ de la série des catastrophes. Merci à Xavier Dolan de nous épargner l’image finale.
On sort lessivé et à bout de souffle de ce film qui jette une lumière crue sur les difficultés de l’homoparentalité. A la question, s’agissant d’un divertissement, pourquoi fait-il si mal, on a la réponse. Déjà odieux au sein des couples, le cocktail amour/possessivité/brutalité est plus insoutenable encore dans les relations entre parent et enfant.
Excellente critique pour ce film remarquable mais trop chichement récompensé à Cannes où il méritait largement la palme d’or.
Une opinion que je partage.
La présidente du jury cannois était cette année-là disons « classique ».