« Il a sur le bitume mauvaise réputation.
Dans l’assiette en revanche ce Chinchard a du bon.
Surtout si c’est Lisette qu’il envoie aux charbons !
Son espèce prolifère sans risque d’extinction
faisant le mets moins cher qu’un pavé de saumon.
Pour qu’on fasse saine chère, il offre à profusion
Dans le gras de sa chair, l’oméga au plafond. »
Sur l’étal, ce menu fretin défie dédaigneux ses voisins. Se mesurer au salmonidé en maillot rose, médaillé olympique du saut d’obstacles en eaux douce comme salée, ne lui fait pas peur. Il n’a rien à craindre non plus du caparaçonné de braise qui en pince (par bonheur entravée) pour cette grosse queue de lotte à demi vêtue s’offrant sans pudeur au chaland. Et il a bien raison. Avec sa silhouette élancée aux irisations bleutées, le maquereau tient à mes yeux la vedette sur l’étalage des écaillers.
Mon Maq à moi, il me parle de ses aventures. De ses épopées océaniques. Quand à l’aube, pensant se régaler d’une anchois grégaire, l’affamé faillit être abusé par un train de plumes scélérates. Quand, se prenant pour Moby Dick, il gigota jusqu’à l’épuisement au bout d’une ligne hameçonnée, tel un beau diable dans une eau qui n’avait rien de bénite.
Aussi combatif que vorace, ce scombridé (maquereaux, thons, bonites…) trouve sa place toute l’année chez le poissonnier. Toujours à la bonne taille, celle de l’appétit. Car il en est de gros, de moyens et de petits – ces derniers répondant au joli nom de lisettes. Espèce qu’il n’y a pas lieu de protéger, le maquereau est à consommer sans scrupule ni modération vu la richesse de ses apports nutritionnels (iode, vitamines, oligo-élément, Omega 3) et le goût prononcé de sa chair.
Le marin rayé n’a qu’un défaut. Il a – olfactivement parlant – du caractère. Un mot qu’on accole au seul sous-entendu qui convienne, l’adjectif mauvais. Dit avec moins de poésie, il empeste lors de la cuisson. D’ailleurs, s’ils avaient consommé ce poisson au lieu du bison, les Indiens des grandes plaines se fussent signalés à l’ennemi par son fumet bien avant ses volutes.
Petite consolation, le maquereau fait moins de dégâts olfactifs que sa petite cousine la sardine, ce qui vaut à l’exquise ses classiques mises en boîte. Les doigts qui parent ces poissons conservent, tenace, la mémoire de l’océan… Pour y remédier, il existe dans le commerce de mini tampons blancs qui se transforment en lingettes de gaze une fois trempés dans de l’eau bouillante. L’opération est spectaculaire, elle amuse les convives, chacun y allant de sa comparaison pour évoquer ces drôles de nénuphars. Des rince-doigts bien utiles pour passer au fromage (encore que, s’agissant de Vieux Boulogne ou de Curé nantais…) ou au dessert.
Le maquereau finit volontiers en barbeau, vieux beau drapé dans sa papillote. L’aluminium sied à ses flancs bleu métallisé. Fin cuisinier, mon neveu Guillaume m’a livré cette recette dont la réussite tient à l’astuce de cuisson, valable au four comme au barbecue.
Préparez un mélange moutarde forte de Dijon/moutarde à l’ancienne. Délayez- le avec ce qu’il faut d’huile de tournesol pour obtenir la consistance d’une mayonnaise. Prévoyez une bonne quantité de mélange car il s’évanouit en partie lors de la cuisson.
Enduisez généreusement recto/verso chaque maquereau évidé de cette mayonnaise sans œuf. Vous lui aurez au préalable retiré la pipe du bec, avantageusement remplacée par une branche de romarin. Placez l’animal au centre d’une papillote d’aluminium que vous refermerez en dôme en laissant un large espace au-dessus du poisson. Là réside la trouvaille : ériger une cathédrale pour le Requiem du pauvre pêché. Au lieu d’être emmailloté collé-serré comme une momie, votre Maq grésillera de reconnaissance dans un bain moutardé de vapeur. Sa chair gagnera en moelleux ; mêlés aux deux moutardes, graisses et sucs du poisson feront la meilleure des sauces pour accompagner de simples pommes de terre en robe des champs.
Cuit de cette manière (30 bonnes minutes), le poisson n’est pas à la minute près pour s’échouer dans l’assiette. Intéressant quand l’apéritif se prolonge. Autre avantage, la papillote absorbe les effluves délétères qui sans elle, eussent incommodé vos voisins et empesté vos rideaux.
Ainsi donc dans la famille Guillemette le neveu s’appelle Guillaume et tout cela nous fait un délicieux papier!
Oui, et le dit Guillaume tient ses talents culinaires de sa mère, Flo !
Merci Guillemette pour cet hommage. Et quel bonheur de sortir ce beau maquereau de l’eau, il brille turquoise bleu vert gris noir. J’en conserve deux caisses au salon, accrochées au mur. Quelques maquereaux toujours frais, déposés à la gouache par le génial peintre ilien Didier-Marie Le Bihan.
Trop rare Guillemette … Mais toujours prête à livrer de bien poétiques recettes
La papillote vapeur est une astuce, la cuisine une passion, et la poésie un art. J’ai partagé la première, tu m’a offert les deux autres, merci ma chère tante.
Ton neveu.
Et, cher neveu, le partage ne se limite pas au maquereau !