Les grands patrons du cinéma français

La vie tumultueuse sur le mur de Google imagesL’acteur fait rêver quand il monte les escaliers de Cannes. Le comédien inspire le respect quand il vous scotche au fond de votre fauteuil. Mais le metteur en scène, le cinéaste, sont-ils totalement des auteurs ou doivent-ils partager avec les scénaristes ou les dialoguistes la paternité de leur film ? Que serait les « Enfants du Paradis » sans Prévert, ou « Un singe en Hiver » sans Audiard ? Et « A Bout de souffle » ou « le Mépris » auraient-ils été tournés sans Georges de Beauregard, qui fit la nouvelle vague ? Yonnick Flot nous plonge avec « La Vie tumultueuse des producteurs » (Séguier) dans cet univers.

Bon d’accord, l’argument est spécieux et un Truffaut ou un Chabrol resteront à jamais un Truffaut ou un Chabrol. Le producteur est souvent un inconnu pour le grand public, et pourtant, tous les mercredis, ils se rencontrent à la première séance, l’homme de l’ombre et le spectateur. Il est entré dans la salle mais ignore qu’il est épié, compté. Et pourtant, même si les marches de l’escalier qu’il gravit sont couleur caca d’oie, elles mériteraient d’être rouge canard tant l’émotion de ceux qui le regardent est forte.

Le spectateur qui sort ce mercredi s’éloigne avec la hauteur de celui qui sait qu’il vient de signer l’avenir du film qui peut-être changera de salle. Peut-être même immédiatement. On sait dés cette première séance du premier mercredi si le film marche ou pas. Le spectateur l’ignore, mais il vient d’affronter le « patron ». Lui qui restera dans l’ombre, lui, le producteur qui a tout décidé, l’équipe, le financement et la commercialisation du film. Il est le maître des lieux même devant les plus grands. Quand François Truffaut met en scène dans « La Nuit américaine » le tournage d’un film, on est presque étonné de la timidité du metteur en scène quand il s’adresse au producteur

Si Yonnick Flot dans son livre effleure le cinéma hollywoodien, on ne lui en voudra pas, le décor est posé et c’est l’histoire de ceux qui ont fait le cinéma français depuis la guerre qui l’intéresse. Une histoire d’hommes, dans tous les sens du terme. Une histoire de passion aussi qui a hissé notre cinéma derrière les Etats-Unis, l’Inde mise à part.

Pour comprendre, il faut expliquer cette profession qui a permis de mettre sur les rails dans les années 50 un système d’avance sur recette, amélioré depuis l’arrivée des chaînes de télé payantes. Pour comprendre il faut se laisser porter dans cette galerie de portraits, la vingtaine de producteurs qui ont fait le cinéma français depuis la dernière guerre avec derrière eux la foule des Belmondo, Bardot, Pialat, Renoir, Rohmer, Marais, Deneuve. Parfois on est dans l’anecdote. Raoul Levy fut le producteur de « Et Dieu créa la femme » de Roger Vadim.

Yonnick Flot nous rapporte à son sujet cette délicieuse histoire. « Raoul Levy jongle avec des millions qu’il n’a pas. Il n’a pas des studios hollywoodiens pour l’aider. Il n’a que les banques. (…)

Désireux d’obtenir un gros prêt d’un établissement bancaire des Champs Elysées, l’actif producteur rencontrait de sérieuses réticences au point de craindre un refus. (…) Il se rendit dans l’une des importantes galeries de peintures du quartier où il avait déjà acheté des œuvres de valeurs. Il déclara vouloir faire un cadeau d’anniversaire à sa femme, faisant semblant d’hésiter entre deux tableaux de Picasso et de Miro. Il réussit à convaincre le marchand de lui prêter les œuvres pour les accrocher un court moment à son domicile afin que son épouse puisse choisir celle qu’elle préférait.

En sortant, il persuada son banquier de passer à telle heure précise chez lui pour discuter tranquillement de ce prêt. Le conseiller financier se rendit donc chez Raoul Levy qui lui offrit l’apéritif, l’installant devant les deux toiles exceptionnelles qui ornait un mur de la pièce. Convaincu que Levy en était l’heureux propriétaire, donc solvable et à la tête d’un trésor, le banquier accepta le prêt. Dans la demi-heure suivante, les employés de la galerie vinrent récupérer les deux peintures. »

 

"La nuit américaine" sur le mur de Google images. Illustration: LSDP

« La nuit américaine » sur  Google images. Illustration: LSDP

Le plus souvent, la passion nous plonge dans les enfers d’où l’on ne s’enfuit pas. Ici le fric flambe facilement, mais tout ne prête pas à sourire.

Qui a tué Gérard Lebovici ? Le 3 mars 1984, on retrouve son corps quatre balles dans la nuque, parking Hoche. « Le défunt est un anonyme pour le grand public même s’il est un grand nom pour le show business, une rare puissance financière et artistique, admiré autant que détesté, courtisé autant que craint par ses pairs qu’il méprise et domine. (…)

Eminence grise de l’industrie du film, il était devenu le pivot et maître occulte de la production française, des superproductions populaires et à succès à des œuvres de type Arts et Essais ». Il produisait Belmondo et Jean Eustache.

Mais c’est un métier où il faut être fou pour réussir, Claude Berri gagna son titre de nabab avec avec Tess de Polanski. Le pari est fou, le budget avait doublé par rapport aux prévisions, il est vrai que des lignes téléphoniques durent être enfouies et des cornes de vaches collées parce qu’aujourd’hui on les scie, cerise sur le gâteau, le tournage devait couvrir les quatre saisons. Claude Berri prit seul tous les risques… Tess est-il un film de Polanski ? Et Toscan du Plantier ? Non Georges de Beauregard ou alors Anatole Dauman. Un livre incontournable pour qui aime le cinéma.

Jean Gabin disait : il faut trois choses pour faire un bon film, d’abord une bonne histoire, ensuite une bonne histoire et enfin une bonne histoire. Le livre Yonnick Flot n’en manque pas aussi vous me permettrez de vous laisser là, j’y retourne. (Non mais sans blague, 450 pages ça ne se lit pas comme ça !).

 

La Vie tumultueuse des Producteurs-Yonnick Flot-Ed. Seguier

 

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3 réponses à Les grands patrons du cinéma français

  1. person philippe dit :

    Votre extrait du livre de Yannick Flot sur Raoul Levy ne me convainc pas… C’est beaucoup mieux raconté par Jean-Dominique Bauby dans son indispensable biographie du producteur, réalisateur d’un seul film, « L’Espion », qui sera le dernier film joué par un Monty Clift exsangue ,au bord de la mort…et , dans lequel apparaît d’ailleurs Jean-Luc Godard…
    Vous parlez des « m’as-tu-vu » habituels, Berri, Beauregard, Lebovici… (manque à l’appel Rassam)… Mais quid des « piliers » de la production, ceux qui ont fait VRAIMENT le cinéma français et pas des coups… Les frères Hakim, Alexandre Mnouchkine (qui appela sa société « Ariane » du prénom de sa fille), Alain Poiré, Christian Feichner et même Alain Terzian…

    • Bruno Sillard dit :

      Ils sont là aussi, disons que l’article laisse davantage sur sa faim que le livre lui-même. Cela vaut mieux que l’inverse!

  2. de FOS dit :

    J’ai pour ma part découvert et apprécié le passage relatant la ruse de Raoul Levy pour abuser son banquier…

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