Ballon prisonnier

Ballon. Cour de la prison de la Santé. Photo: Les Soirées de ParisCe qui frappe d’emblée dans la cour-promenade de la prison de la Santé, ce sont tous ces ballons prisonniers des barbelés en spirale. Ils sont là figés dans cet écheveau de fils garnis de lames coupantes. On ne sait pas si lors du chantier de restauration en cours il a été prévu de les ôter. La vieille prison parisienne ouvrira ses portes au public pour la première et la dernière fois lors des journées du patrimoine les 20 et 21 septembre prochains. Revue de détail, en texte et en images.

Pour cette journée ouverte à la presse, l’établissement s’était fait accueillant avec un personnel agréablement disponible. Pour la petite histoire, il faut rappeler que cette prison est liée à l’histoire des Soirées de Paris. Accusé d’être le complice possible de la disparition de la Joconde, Guillaume Apollinaire y a en effet séjourné quelques jours en 1911 avant d’être innocenté. Et c’est pour le réconforter que ses amis lui avaient proposé sur un coin de table du Café de Flore, de créer cette revue d’avant-garde, qui devait voir le jour en 1912. Cet emprisonnement lui avait donné un sérieux coup de cafard mais il s’était satisfait plus tard, dans un article publié dans Paris Journal le 14 septembre 1911, de la cuisine servie, « pas très abondante » mais « bonne« …

Le parcours qui sera proposé au public donne un aperçu de ce que peut éprouver celui qui pénètre dans ces lieux pour de mauvaises raisons. Presque déserte puisqu’il subsiste une population de détenus en régime de semi-liberté, la prison nous délivre si l’on ose dire une impression étrange, avec ses coursives silencieuses, ses cours abandonnées et ses cellules inoccupées.

détail d'une promenade pour les détenus à l'isolement. Photo: Les Soirées de Paris

Détail d’une promenade pour les détenus à l’isolement. Photo: Les Soirées de Paris

Ce sont les détails prévisibles qui accrochent l’attention. Le long trousseau de clés du surveillant, les grilles et les barreaux, les œilletons, une savonnette et un peigne oubliés dans les douches, un dictionnaire et un livre de Simenon, les loquets, les verrous, les toilettes, une chasse d’eau remplacée par une ficelle, tout autant d’éléments qui caractérisent une incarcération.

La cellule de base de sept mètres carrés frappe par son exiguïté oppressante. On imagine sans peine une journée durant laquelle il faut supporter les manies de son co-détenu, la télévision à fond et l’usage des toilettes en gros plan, dommages sonores et olfactifs inclus. Ainsi que l’avait proféré un jour, sans aménité aucune, Rachida Dati à un prisonnier, « la prison ce n’est pas l’hôtel ».

A tout prendre, comme se le faisaient remarquer entre eux les journalistes présents, il est peut-être préférable de se retrouver dans les cellules disciplinaires. La pièce est sinistre, la cour au toit grillagé désespérante, mais on peut au moins y survivre entre soi et soi. Reste que ces réflexions d’hommes et de femmes libres sont forcément sujettes à caution.

Il revient néanmoins à l’esprit du visiteur qui se revendique éclairé, que la culture française du châtiment dans sa névrose vengeresse, est sans doute excessive et que l’on met bien trop de gens en prison bien trop longtemps.

Vide, l’établissement laisse donc rêveur. Des herbes folles ont profité du départ des détenus en juillet pour grimper ça et là. La rouille des portes métalliques, les quelques graffiti, quelques photographies de femmes nues sur une paroi des toilettes, la liste affichée des produits d’hygiène ou comestibles que l’on peut acheter pour améliorer l’ordinaire, les parloirs devenus réduits à poussières, font qu’au bout de presque trois heures de « taule », une sensation de vasoconstriction se substitue à la gaie curiosité du journaliste en vadrouille.

Apollinaire à la Santé par Marcoussis. Source image: Crimina corpus

Apollinaire à la Santé par Marcoussis. Source image: Crimina corpus

En une semaine à la Santé, quinzième cellule onzième division, Guillaume Apollinaire a eu bien davantage le temps de méditer sur sa liberté étouffée. Son séjour y est détaillé sur le site Crimina Corpus, avec une significative illustration de son ami Louis Marcoussis que nous reprenons ci-contre.

Pour la visite en revanche, suivez le diaporama ci-dessous. Pour passer à l’image suivante cliquez sur la flèche en bas de chaque image.

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4 réponses à Ballon prisonnier

  1. Agathe dit :

    Trop bien!

  2. jmc dit :

    Bravo pour ce reportage instructif, émouvant, impressionnant. Pour que nous les hommes et femmes libres, comme il est écrit, pensions un peu à

    « … tous ces pauvres cœurs battant dans la prison ».

  3. de FOS dit :

    Je plaide pour la vasodilatation et me contenterai donc de la « simple visite » explicitement illustrée et commentée de Philippe…

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