A peine Michel Houellebecq venait-il d’être enlevé par un trio de joyeux Pieds nickelés (le 27 août, sur Arte, un film jubilatoire de Guillaume Nicloux qui mériterait une diffusion sur grand écran, comme c’est d’ailleurs le cas dans plusieurs pays européens) que l’écrivain propose de rendre public son suicide imminent.
Présenté hors compétition à la Mostra de Venise, Near Death Experience (« Expérience de mort imminente » – il n’est pas sûr que ce soit le meilleur des titres) sort cette semaine. L’auteur des Particules élémentaires est l’acteur principal et l’unique héros de ce film réalisé en très peu de temps par une équipe réduite, sous la conduite de Benoît Delépine et Gustave Kervern, les deux enfants terribles à qui l’on doit notamment Mammuth et Le Grand Soir.
On assiste au dernier voyage de Paul (appelons-le plutôt Michel…) qui décide d’en finir avec sa médiocre vie de père tranquille, un peu lâche et pas mal porté sur la bouteille. On pourra parler de burn out – c’est plus élégant – ou dire plus familièrement qu’il a pété les plombs – c’est plus évocateur. La réalité est beaucoup plus crue. Paul/ Michel fait le bilan lucide d’une vie où il a avant tout cherché la tranquillité. Une vie pépère, peinarde. Plutôt la soumission que la révolte. Mais à 56 ans, l’employé d’un plateau téléphonique de télécommunications est devenu obsolète. Il n’est plus dans le coup. Il a atteint l’âge de son grand-père à qui on ne demandait pas d’être performant, de rester jeune, de faire du sport, à qui on n’imposait pas des objectifs. A 56 ans, Paul/Michel est vieux. C’est une tare.
Pour son dernier voyage, Paul/Michel Houellebecq quitte son HLM, prend son vélo, enfile un maillot rouge « Bic » vintage du plus bel effet, et cherche le meilleur moyen d’en finir avec cette vie. Sans ostentation, sans angoisse apparente.
Pas si simple. Il y a la peur du vide, le vertige, et les mauvaises rencontres. On lui met des bâtons dans les roues, en somme. Mais Michel va jusqu’au bout des choses : c’est quand même l’une des rares qualités qu’il se reconnaît (« quand j’étais petit, je finissais toujours ma soupe »). S’il n’a pas réussi sa vie, cet homme a décidé de ne pas rater sa mort. Dans ce voyage “initiatique“, la voix traînarde et peu articulée de Michel nous livre quelques-unes de ses pensées anthumes. “Se foutre en l’air nécessite certes du courage mais aussi de la chance. On ne compte plus les suicides pour cause de déveine “. C’est parfois métaphysique, c’est parfois dérisoire. C’est humain.
A la vision de ce film assez spartiate, malgré les somptueux décors de la Montagne Sainte-Victoire, on pourrait imaginer que Houellebecq ait participé au scénario. Benoît Delépine assure qu’il n’en n’a rien été, l’un des rares apports de l’acteur ayant été le choix des musiques (Schubert, Le Voyage d’Hiver que l’écrivain écoute avant de se mettre à l’écriture, ou encore Black Sabbath – ce qui nous vaut une époustouflante chorégraphie qui devrait figurer parmi les œuvres complètes de Michel Houellebecq).
Mais il y a eu de toute évidence une rencontre complice et une communauté d’esprit entre les auteurs et l’écrivain, qui n’a vraisemblablement pas dû se forcer beaucoup pour interpréter le rôle.
Qui d’autre que lui pouvait rendre avec autant d’intensité cette tragi-comédie de la condition humaine ? Baudelaire l’accompagnera dans son voyage final et nous entendons Michel Houellebecq nous dire:
Elévation :Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
s’élancer vers les champs lumineux et sereins.
Allons, tout n’est pas perdu… De la même période, Paul aurait pu choisir Louise Victorine Ackermann, née Choquet (1813-1890), certes moins célèbre mais plus radicale : « le genre humain m’apparaît comme le héros d’un drame lamentable qui se joue dans un coin perdu de l’univers, en vertu de lois aveugles, devant une nature indifférente, avec le néant pour dénouement ».
Alors… reviens-nous, Michel !
Mon dieu, que la montagne (Sainte Victoire) est belle ! L’un l’a chantée, l’autre y chuinte.
Un film scotchant malgré la longueur de ses plans.