Une belle idée contenue dans le dernier métrage d’Olivier Assayas repose sur un phénomène nuageux qui se produit à l’aube dans une haute vallée suisse, à proximité de Sils Maria, localité qui donne son nom au film. Mais la base du scénario est un rien casse-gueule puisqu’elle niche dans le milieu du cinéma. Comme sur un sentier de haute montagne (suisse), le réalisateur tente d’éviter les écueils du nombrilisme et de l’auto-centrage propre au milieu du 7e art: il n’a pas choisi la facilité.
Juliette Binoche y campe une actrice célèbre, Maria Enders, répétant un rôle de théâtre avec l’aide d’une assistante à deux téléphones, du type très très efficace. Il se trouve que la pièce en question met justement en scène une relation sentimentale compliquée entre une patronne et son assistante. Olivier Assayas n’hésite donc pas à superposer, deux intrigues semblables, en couches périlleuses. A moins d’être bête, on comprend sans effort démesuré que nos deux actrices répètent une pièce qui les concerne singulièrement. Niveau de complexité et de pathos supplémentaire, on apprend que Maria Enders a déjà joué la pièce à dix huit ans dans le rôle de l’assistante. A elle désormais de jouer la femme mûre. Dans ces conditions bien complexes, la répétition de la pièce par les deux femmes se retourne contre elles comme un empoisonnement suicidaire.
Quand on pense à la Juliette Binoche de Rendez-vous, réalisé en 1985 par André Téchiné avec la participation au scénario de Olivier Assayas, on se dit qu’elle a indéniablement du cran en se déshabillant entièrement dans le film. En outre, dans de nombreuses scènes, elle n’est pas maquillée, ce qui vient accentuer comme une volonté auto-thérapeutique de transparence sur les dégâts de l’âge. Dans un dialogue à ce propos, censé être fort, Juliette Binoche dit en substance : « si je comprends bien, j’ai le droit ne pas être vieille à condition de ne pas vouloir être jeune ». C’est ainsi que le film frotte un peu aux parois dans les virages. Mais ça passe.
Oui le film est souvent tangent puisqu’il ne met en scène que des personnages de cinéma avec leurs angoisses existentielles spécifiques et des préoccupations bien éloignées du renouvellement mensuel d’un Pass Navigo, comme par exemple de s’assurer s’ils n’ont pas été suivis par des paparazzi. Difficile d’éprouver de l’empathie mais on s’intéresse avec bienveillance à leur cas.
Il se trouve que ce jour-là, au MK2 Gambetta, quelques spectateurs étaient restés dans la salle après la séance. Comme rien n’est vraiment limpide dans le film, l’un se demandait si au fond l’assistante (très bonne Kristen Stewart) n’était pas amoureuse de son employeuse et l’un disait qu’il s’était « sérieusement emmerdé » au premier set (il y a deux parties plus un épilogue) mais qu’après il s’était senti mieux.
La beauté des reliefs (suisses) aident à l’ingestion et avec la prise de vue magique du phénomène nuageux dont on ne dira pas tout ici, Olivier Assayas sort un atout maître qui au bout du compte force l’indulgence.
Oui! le Pass Navigo, merci de nous y faire penser. Pardon, mais c’est vrai que l’introspection gentillette colle un peu au ciné françouais. Vrai aussi que l’on pense à Rendez-vous ou encore à L’Insoutenable légèreté de l’être, sorti en 1987.
On ira peut-être tout de même admirer ces beaux nuages…
Eric Neuhoff au « Masque et la Plume » résumait l’affaire en signalant qu’Olivier Assayas n’aurait jamais pu faire un film s’intitulant « Isola 2000 ».
Moi, j’admire la ténacité et l’art de la persuasion d’un garçon capable de convaincre tant de Commissions et de Festivals. Que de films à son actif malgré un départ désastreux avec « Désordre » suivi d’un « Enfant de l’hiver » qui laissait de glace…
Assayas a même réussi l’impossible : si l’on n’ignore pas qui sont les papas de ses collègues Blier et Audiard, on ne sait pas que le sien, Raymond Assayas dit Jacques Remy, était l’auteur de monuments comme le « Monocle rit jaune » ou » Le Mur de l’Atlantique »…
Dans les semaines à venir, entreront en piste de vrais cinéastes ayant quelque chose à dire et le montrant avec force et énergie : d’abord, le 17 septembre, sortira « Mange tes morts », un film à couper le souffle dans lequel Jean-Charles Hue transforme en héros tragi-comiques des Gitans picards dans un film qui fera se pâmer Tarantino et Scorsese et s’inscrit dans les grandes réussites du « film noir » à la française ; puis, le 1er octobre, ce sera le tour de Cheyenne Carron, une jeune femme qui se raconte depuis cinq films et qui, après le poignant « La Fille publique », ose réussir un film dont le sujet est la conversion au catholicisme d’un jeune Arabe, qui plus est programmé pour être imam. Le cinéma de Cheyenne Carron est d’une limpidité lumineuse qui lui permet de s’abstraire de tous les poncifs sur la banlieue et la cohabitation de ses religions. On souffre déjà de penser qu’il faudra bien chercher la salle où passera « L’Apôtre »…