La plus longue dépêche de l’AFP

L'histoire de l'AFP par Xavier Baron. Photo: Les Soirées de ParisL’Europe a mis deux mois avant d’apprendre la mort de Napoléon et on en saurait un peu plus aujourd’hui sur Jésus-Christ si un journaliste de l’AFP avait été présent sur place. C’est là tout l’intérêt de l’histoire de l’Agence France Presse que s’efforce de raconter sur quelque 350 pages un de ses anciens rédacteurs en chef, Xavier Baron. Sorti le 28 août, le livre a naturellement fait l’objet d’une dépêche, ce qui est parfaitement normal. Elle raconte en deux feuillets ce que l’auteur détaille en 600 feuillets environ.

Il aurait fallu que Xavier Baron écrivît au moins trois volumes pour mieux rendre compte encore de la somme des détails, symboliques, drôles, glorieux, tragiques, honteux parfois, qui caractérisent la vie de cette extraordinaire maison fondée par Charles-Louis Havas au début du 19e siècle.

L’histoire de l’AFP épouse l’histoire de France. Xavier Baron raconte que comme d’autres (les Rothschild notamment, ndlr),  Charles-Louis Havas a compris l’importance de l’information et prévu son développement extraordinaire. On peut avancer actuellement qu’un avatar comme Twitter correspond à la justesse de cette analyse vieille de deux siècles, à cette différence -immense- que Twitter n’est pas de l’information certifiée mais un de ses substrats.

Elles sont trois à dominer l’information de nos jours presque nées en même temps. Il y a l’anglaise Reuter et l’américaine AP. Pas un média généraliste, ni un journal, ni une radio, ni une télévision, pas plus qu’un site d’infos en ligne, ne peut se passer des flux (textes, photos, vidéos) délivrés par ces trois géants. L’information servie, primaire ou plus élaborée, dûment vérifiée, est redistribuée aux médias qui en sont plus ou moins dépendants et plutôt plus que moins.

L’importance du travail de ces agences est tel que les pouvoirs politiques et commerciaux ont souvent tenté de les contrôler ou de les museler. Xavier Baron évoque notamment l’entre-deux tours des élections présidentielles de 1981  où le pouvoir aux abois promet des sanctions en cas de victoire de Valéry Giscard d’Estaing si l’AFP ne réoriente pas ses dépêches. De ce point de vue il y a les bonnes périodes (la loi sur la liberté de la presse en 1881) et les mauvaises, notamment quand la France est en guerre ou occupée. L’Aéfeupé comme le chante Jean-Claude Gaudin énerve bien souvent les politiques par sa neutralité exigeante.

Le siège de l'AFP place de la Bourse. Photo: Les Soirées de Paris

Le siège de l’AFP. Photo: Les Soirées de Paris

L’histoire de l’AFP n’en finit -heureusement- pas d’être passionnante. Cette maison sise place de la Bourse a su s’adapter pour survivre, de l’utilisation des pigeons voyageurs à la technologie Internet. Citons-là dans sa propre dépêche : « En 70 ans, elle est devenue la plus importante entreprise de presse française et diffuse chaque jour dans le monde 5.000 dépêches en six langues, 3.000 photos, 200 vidéos, des productions multimédias, grâce à 2.260 collaborateurs de 80 nationalités différentes, répartis dans 150 pays. »

On aurait voulu, mais sans doute est-ce dû à l’effacement quasi constitutionnel de ses journalistes derrière leurs seules initiales, en lire davantage sur ces anonymes qui produisent cette actualité caractérisée depuis ses origines par ces clés interrogatives : qui, quand, où, comment, pourquoi. Il y a dans cette maison une masse compétente de gens, rédacteurs, photographes, infographes, reporters d’images qui concourent à nous alimenter en informations. L’AFP ne s’est jamais vraiment vantée comme le quotidien New York Times, qui dit à ses lecteurs en substance, « tant que nous l’avons pas écrit, cela n’existe pas ». Et pourtant la fiabilité d’une dépêche AFP est de premier ordre. C’est bien ce qui lui coûte cher quand exceptionnellement elle se trompe, ce que n’élude pas l’auteur du livre Xavier Baron, à la fois journaliste et, pour la bonne cause, historien.

« Le monde en direct. De Charles-Louis Havas à l’AFP » – Editions La Découverte – Xavier Baron – 354 p. – 21 euros »

PS : Qu’il me soit permis d’évoquer ici deux journalistes de l’AFP aujourd’hui disparus : Laurent Houssay et Pierre Maillard. Ils en étaient les bons représentants : parfaits journalistes et excellents camarades. Je ne passe jamais devant le siège de l’agence sans penser à eux.

N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Livres, Presse. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à La plus longue dépêche de l’AFP

  1. jmc dit :

    Les journaux, radios et sites sont certes toujours des clients de l’AFP, mais leur relation de dépendance à l’égard du fournisseur public n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était il y a encore dix ans. J’imagine que le livre se saisit de cette question, ne serait-ce que pour en souligner les conséquences sociales dans l’institution…
    Salut conjoint aux excellents camarades et bons soldats de l’info.

  2. person philippe dit :

    Étudiant à Sciences-Po, j’avais lu un très beau livre sur les Palestiniens signé Xavier Baron. Est-ce le même ?
    J’approuve des deux mains l’article de Philippe. Je me souviens d’avoir vu un film américain racontant l’histoire de Reuters. C’était EG Robinson qui incarnait Reuter et le film devait s’appeler à peu près « Une Dépêche signée Reuter »… Un « biopic » avant l’heure…
    Évidemment, personne n’a eu l’idée en France de faire la même chose avec Havas et l’AFP !

  3. Bruno Sillard dit :

    Les agences ce sont d’abord des informations qui tombent en continue. Des papiers toujours construit selon des règles n’autorisant aucune fantaisie. Des signatures ? A jamais l’agencier sera un plumitif anonyme. L’écriture ? La rigueur avant toute chose. Le journaliste gagnera ses médailles, de bureaux en bureaux, en France, à l’étranger. Le reporter d’agence n’a qu’une mission, ramener des informations, plus vite, plus complètes, mais aussi certifiées, la concurrence avec les autres agences est dans tous les esprits. Pour le reste, tant pis si l’agencier voit son papier mal repris, massacré ou détourné par un journal ou une télé, on ne lui demande que de serrer les dents, et de, toujours et encore, faire tourner la machine à information, une machine qui coûte de plus en plus chère alors que la presse papier sombre, qu’internet confond rumeurs et new et que la renommé du présentateur du JT est proportionnelle au temps passé en salle de maquillage. Une mécanique qui n’a pas le droit de s’arrêter.

Les commentaires sont fermés.