Lorsqu’il marchait, c’était au milieu d’un couloir de voiles blanches, sur un fond noir strié de minuscules points jaunes. Quand il était assis c’était comme sur un pétale en apesanteur avec autour de lui des corolles de cette même couleur rose très pâle. Il n’avait plus que sa conscience. Sa consistance avait disparu dans un monde sans début ni fin.
Ni souffrances ni inquiétudes ne l’affectaient. Il allait simplement dans ce corridor étrange encore que cet adjectif n’avait plus beaucoup de sens. Il lui suffisait de penser à quelqu’un de connu pour le voir apparaître. Le regard de ces revenants lui rendait son enveloppe physique quoique bien diaphane. C’est là toute la vertu du témoignage de l’autre que de requinquer l’existentiel de ses pairs. Il n’y avait pas de mots échangés. Seule une sorte de bienveillance dans le regard, indiquant que plus rien n’était à craindre, émanait de ces rencontres. Il évoluait désormais dans un univers sans bornes ou complètement circulaire ce qui revient au même. Le temps n’était plus ni à perdre, ni à économiser, ni à s’amuser.
L’agenda de cette vie perpétuelle enfin portée à sa connaissance, consistait donc à avancer ou s’arrêter, tout en convoquant, à l’occasion, des proches par la pensée. A vrai dire, au début, cela l’avait distrait, conséquence d’un fond de curiosité tellement vaste de son vivant que sa mort ne l’avait pas entièrement dissout. Il avait d’abord recherché des amours de jeunesse pour voir. Il avait pu les approcher de très près mais les lignes de son propre corps semblaient résister au toucher prolongé. Les baisers étaient subreptices, comme ceux d’un hippocampe tétant du corail, comme s’il n’y avait pas d’adhérence.
Assez vite il se buta, lassé par l’indigence du programme. Il devait être en rêve, rien qu’en rêve et il fallait bien que l’expérience s’arrêtât. Il s’allongea à la romaine sur un de ces pétales au toucher velouté et médita sur ce constat géographique: la disparition absolue de tout ce qui pouvait être de nature provisoire. Il venait de prendre conscience de la valeur consubstantielle d’une durée limitée. Au fond, regrettait-il, quoi de plus beau qu’un chronomètre.
Oui quoi de plus beau en effet qu’un chronomètre et même un parcmètre, une cigarette, une liaison d’été, une photo Polaroïd qui s’efface avec les années, une traversée de dix minutes seulement en vaporetto, une course dans Paris en vélo, le périphérique la nuit, un déjeuner avec ami, un après-midi « at the zoo »; quoi de meilleur qu’une boîte de chocolats à partager, une limonade au Luxembourg, un bouclage de journal serré, une promenade en décapotable le long de l’Estérel, une traversée de 45 minutes vers Sein; quoi de plus fort encore que la prolongation inespérée d’une aubaine, un deuxième jour de Noël, une rémission, des jambes qui fonctionnent de nouveau; quoi de plus jouissif et extraordinaire enfin, qu’un supplément inattendu de Pommard, dans une parenthèse enchantée qui s’étendrait si longtemps qu’elle tromperait notre vigilance de par sa latitude émolliente.
Bien heureusement, ce n’était qu’un rêve. Quand il se réveilla, il se rendit compte que Cécile était discrètement partie dans la nuit, qu’il n’y avait plus ni lait, ni café et, quand il sortit pour en chercher, il vit le papillon de la maréchaussée sur le pare-brise de sa Fiat. Tout ceci était merveilleusement provisoire. L’air sortait à intervalles réguliers de ses poumons. La trotteuse de sa très vieille montre, celle qui rythmait ses journées après avoir organisé celles de son grand-père, en avait vu bien d’autres. Quel monde précaire et, pour tout dire parfait, c’était.
Quel beau texte et quelle hallucination enviable.
« … and our little life
Is rounded with a sleep. »
Mais il y a des lectures réjouissantes…