On ne le sait pas toujours, mais on s’en doute parfois: ceux qui s’attribuent par voie de publication une découverte majeure, ont coutume de déployer des pare-feux, au cas où il viendrait à d’autres la curiosité de s’intéresser à tous les géniteurs d’un résultat similaire et par ordre d’ancienneté. En 1962 par exemple, les scientifiques James Watson et Francis Crick se sont vu couronner d’un prix Nobel pour avoir établi, photo à l’appui, la structure en double hélice de l’ADN, le vibrion qui supporte notre hérédité. L’ADN apparaissait comme une sorte de hors-bord guindé, à double hélice donc, susceptible de tracter des informations complexes dans un milieu idoine.
En publiant leurs travaux en 1953, Watson et Crick doublaient ce faisant d’éminents précurseurs (1), dont le rôle dans cette découverte a un peu déteint au profit des deux lauréats. Dans la communauté scientifique on ne se fait pas de cadeaux c’est notoire et, encore récemment, en récompensant Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi pour leur découverte de l’agent vecteur du Sida, les membres du comité Nobel oubliaient un peu au passage, faute de bonnes informations sans doute, un certain Jean-Claude Chermann l’un des trois protagonistes de l’affaire. Il est vrai que année après année, le prestige du Nobel s’émousse au fil de certaines attributions, ce qui peut contribuer à consoler les laissés-pour-compte.
Or il y a 60 ans exactement cette année, bien loin de l’univers scientifique, un écrivain du nom de Jacques Perret (Bande à Part, Le Caporal épinglé…) publiait un de ses fameux ouvrages dans lesquels il laissait fumer, dans un style rarement égalé, sa bonne ou mauvaise humeur à l’égard du monde et de ses progrès. Le livre s’appelait « Cheveux sur la soupe. »
A propos du synchrotron et de sa capacité à accélérer les particules il disait croire « volontiers » que cette machine était « une façon d’entrevoir la face de Dieu ». Mais surtout, en pages 30 et 31, il écrivait ceci : « J’avais pour ami un homme très savant et très pieux qui pensait avoir trouvé le mécanisme unique, initial et permanent de l’univers, dans la double spirale appliquée à la classification de Mendeliev (savant russe) … » ce qui faisait dire à cette relation de Jacques Perret, que Dieu était « un physicien hors ligne ». Et peut-être aussi, avec cette double hélice, un amateur de ski nautique hors pair.
Vu que ce Laffin apparaissait comme un éclaireur et même un prédécesseur de Watson Crick, je lui avais écris pour en savoir un peu plus. Et il m’avait répondu ceci, en 1985 : « J’avais effectivement un ami, Mr Laffin, amateur très féru de sciences et qui professait la théorie en question, dans une indifférence apparemment générale. N’en croyez pas moins Monsieur, à mes sentiments les meilleurs ».
Il est entendu que mille explications, mille « oui mais », sont toujours disponibles pour justifier et excuser les injustices apparentes dans la chronologie ou la paternité d’une découverte, mais l’anniversaire de ce passage dans un livre d’humeur valait d’être rappelé dans un article … d’humeur.