« Malgré votre promesse formelle de tripler ses gages, de lui assurer chaque jour le cinéma et de l’appeler désormais employé de maison, Baptiste votre valet de chambre vous a dédaigneusement quitté ». Catastrophe. Monsieur s’est d’abord cru perdu. Pourtant, si la situation est grave, elle n’est pas désespérée. Parce que la lecture assidue de “Je sais Tout“ et aussi la visite au salon de l’art ménager aura révélé « une foule de petites inventions, d’objet ingénieux, d’appareils aussi simples que pratiques qui, transformant la routinière manière de vivre, font mieux qu’atténuer la “crise des domestiques“, puisqu’ils la suppriment ».
En octobre 1924, les lecteurs du magazine populaire Je sais tout pouvaient découvrir ce que serait la maison de demain dans un gros dossier de douze pages abondamment illustré, dévoilant tous les appareils électriques « qui remplacent les serviteurs ». En préambule, le texte d’un membre de l’Institut, J. L. Breton, ancien ministre de l’hygiène et directeur de l’Office des inventions, donnait le ton : « La Maison sans domestiques, ce n’est plus une illusion, un mythe, une fantaisie de Jules Verne ou de Wells ». C’est la maison de demain et même d’aujourd’hui, à condition « d’accepter immédiatement le bénéfice de toutes ces inventions par lesquelles l’eau, le gaz et l’électricité, captés, transformés, maîtrisés, accomplissent docilement, ponctuellement, économiquement, les besognes du ménage ».
Consulter cet article près d’un siècle plus tard est loin d’être dépourvu d’intérêt dans la mesure où, effectivement, tout ce qui était annoncé se retrouve aujourd’hui, sous une forme ou une autre, mais de façon quasiment banale dans pratiquement tous les habitats. C’est que, malgré le départ de son infidèle Baptiste, “Monsieur“ pouvait aisément tenir son rang. « Tout est prévu pour vos aises comme pour votre élégance : le chauffe-bains rapide, le tapis chauffant au pied de la baignoire, l’électro-vibreur au méthodique massage, la brosse électrique à cheveux et même – raffinement suprême – l’électro séchoir » Sans compter le fer à friser la moustache. Et quand, le soir, monsieur rejoindra la tiédeur de son lit, « il pourra capter à volonté les voix du théâtrophone ou les mélodies d’un poste de TSF ». Alors… « au lieu de déplorer le départ de Baptiste – ce vieux serviteur, gâté, comme les autres, par les exigences de la vie moderne – Monsieur a« toutes les raisons de s’en réjouir ».
La maison de demain bouleverse également la vie quotidienne de la maîtresse de maison. Et, pour évoquer cette nouvelle vie, le journaliste a des accents lyriques : « De votre doigt rose, appuyez sur le contact électrique : voici le groupe électrogène en marche, remplissant aussitôt les accumulateurs voisins de l’énergie électrique qui, tout au long de la journée, va se tenir à vos ordres et animer instantanément les cent appareils ménagers chargés de reproduire désormais les gestes surannés de la domesticité à jamais disparue ». Mais voici que le haut-parleur accroché au mur l’appelle à l’étage supérieur : « vite, madame la maîtresse de maison, prenez un chauffe-cire, l’un de vos aspirateurs de poussière, une brosse électromécanique et montez à présent faire le manège sans fatigue ».
Ne parlons pas des incroyables facilités avec laquelle Mademoiselle pourra mitonner ses petits plats dans sa cuisine dernier cri . Les appareils électriques à sa disposition consacreront sa réputation de cordon bleu . « Vraiment mademoiselle, poursuit le journaliste décidément très inspiré,vous êtes charmante dans ce rôle – hier encore dédaigné de vous – de cuisinière ». Mais… « A la vérité quand on vous complimentera tout à l’heure, ne serez-vous pas un peu confuse d’avoir en définitive laissé tout faire à la machine – qui doit bien prendre sa part de félicitations ? » ( Comment ne pas penser à la publicité diffusée soixante ans plus tard et restée célèbre, où l’on voyait l’actrice Valérie Lemercier, un gâteau à la main, déclarer hypocritement : « C’est moi qui l’ai fait… » ?)
Les grandes heures du féminisme n’avaient pas encore sonné en 1924, et le membre de l’Institut cité plus haut avait une pensée émue pour le nouveau rôle de la femme, aidée par le développement de la machine : « Ce rôle de maîtresse de maison, qui demeure l’exemple de dévouement et d’abnégation chanté par les poètes, désormais la femme l’accomplira d’autant plus allègrement et maternellement que les travaux, accrus mais simplifiés, du ménage n’en feront plus l’esclave, mais réellement l’ange du foyer ». Baptiste, au secours!