Comme au théâtre, l’histoire se passe dans un lieu clos. Un immeuble parisien. Hélène, la narratrice, y vit à l’intérieur d’une tente qu’elle a plantée au milieu du salon de son appartement à l’aide de sardines. C’est là qu’elle a décidé de s’isoler dans sa bulle, de se mettre à l’abri du monde, après avoir été plaquée par son amoureux Samuel.
Mais le monde ne l’entend pas de cette oreille et la tente devient rapidement un drôle d’endroit pour des rencontres. Tour à tour des personnages hauts en couleur viennent s’immiscer dans la bulle d’Hélène. Sa mère, hôtesse de l’air collagènée, Jehangir, l’ouvrier indien qui travaille sur les échafaudages au ravalement de l’immeuble, Eva, la copine allemande de son père juif, Massoud, le plombier au noir qui a perdu un bras,…
La narratrice manie avec allégresse un art qui se perd, l’auto-dérision, pour raconter son quotidien de laissée-pour-compte fait de bric et de broc. Elle nous touche lorsqu’elle nous fait partager le sentiment d’abandon dont elle souffre ou ses remèdes pour faire face à ses crises d’angoisse. Quand « l’angoisse qui remonte et stagne à la surface comme le contenu d’un évier bouché » la tenaille, entendre des voix lui fait du bien. Même celle de sa conseillère Pôle-Emploi ou des pompiers qu’elle appelle à la rescousse après s’être égratigné les veines pour qu’ils n’aient pas l’impression de se déplacer pour rien.
Mais cet être fragile sait aussi se montrer pernicieux pour dévaliser la cave de sa voisine ou abattre les pigeons des échafaudages de l’immeuble en causant des dommages collatéraux sur les migrants qui y travaillent.
Sous des dehors de légèreté désopilante et avec une verve caustique, Laure Naimski, balaye les problèmes sociétaux d’aujourd’hui : précarité, chômage, migrants, isolement, perte de confiance, dégringolade matérielle et morale. Sur un ton faussement dégagé, elle évoque également la difficulté de transmission de la mémoire et de sa réception par les jeunes générations. Ainsi la narratrice Hélène, dont le père juif a été un enfant caché pendant la guerre, ne sait pas trop quelle attitude adopter face aux traditions religieuses auxquelles elle ne peut se résoudre à tourner le dos.
Dans un style déjanté, ce premier roman fait jaillir l’émotion où on ne l’attend pas. On ne peut rester indifférent à cette fable moderne qui sait si bien se faire l’écho de la solitude contemporaine.
En kit, de Laure Naimski. Belfond. 17 euros.
Merci Lottie,
j’ai bien aimé ce conte moderne qui m’a fait découvrir une façon originale de vivre ses émotions ; le ton m’en a amusée, parfois bousculée, et cette vision intime encourage aussi, délicatement, une attention plus tonique à accorder à nos influences.
La version camping du « locked in syndrom ». PHB