C’est une juste baraque affichant tous les signes de l’abandon. En la jaunissant, le soleil couchant lui redonne un lustre perdu il y a plus de quarante ans avec les débuts de la guerre civile libanaise. Elie, un témoin, est là pour attester que c’est bien ici qu’il attendait le train en famille, de la gare de Hadath. L’aéroport de Beyrouth expose en ce moment même des photographies de ces instants-là. Une conférence sur le sujet est prévue à l’Institut du Monde Arabe le 15 juin (1).
Les plaques de cette gare construite selon les modèles français ont été enlevées. Dans ce bout de terrain vague pourtant, il reste encore le tuyau pour alimenter en eau la locomotive qui s’apprêtait à gagner la montagne pour redescendre enfin dans la vallée de la Bekaa avant de rejoindre Damas.
Beaucoup de jeunes Libanais ignorent l’existence de ce réseau ferré qui devait beaucoup aux Français mais aussi aux troupes australiennes et néo-zélandaises. Ils ignorent par exemple que la colline de Jamhour s’appelle ainsi parce que son nom fait allusion à la « foule » qui attendait le train à la gare du même nom. La locomotive à crémaillère ahanait ensuite en serpentant jusqu’à Baabda où les rails sont encore bien visibles.
Ce maintenant très vague patrimoine ferré dont l’emprise appartient toujours et en principe à l’Etat libanais n’apparaît que par endroits. La mairie de Hadath a pris l’initiative de déblayer une centaine de mètres sur son territoire et a même installé quelques bancs pour les promeneurs mais la démarche, honorable, est bien dérisoire.
Depuis un certain temps, les voyageurs transitant par Beyrouth, ont néanmoins la chance de profiter d’une petite exposition sur le sujet dans l’enceinte de l’aérogare. Cela fait un bon sujet de méditation pour les Libanais qui pestent et désespèrent dans des embouteillages rendus par endroits plus denses encore par les nombreux barrages militaires.
S’intéresser au réseau ferré libanais provoque nécessairement la nostalgie d’un pays où tout le monde s’accorde à dire que c’était mieux avant. Avant c’étaient les jolies maisons libanaises traditionnelles dont beaucoup sont abandonnées ou maltraitées ou encore celles construites dans les années vingt ou trente que le regard traque à Beyrouth ou encore à Jounieh un peu plus haut sur la côte.
La spéculation immobilière fait rage à Beyrouth et sur les alentours. On n’hésite pas à casser la montagne lorsque la place manque. Les promoteurs oublient les piétons en négligeant de prévoir des trottoirs (sauf dans le nouveau centre de Beyrouth).
La compétition confessionnelle prend parfois dans la capitale des tours tragi-comiques quand elle se traduit dans l’immobilier, justement. Ainsi l’immense mosquée Muhammad Al Amine à Beyrouth inaugurée en 2003 (là ou repose Rafic Hariri assassiné en 2005) masque entièrement la Cathédrale Saint-Georges des Maronites construite vers la fin du 19e siècle, sévèrement endommagée durant la guerre et puis restaurée. Aujourd’hui l’archidiocèse érige à l’aide d’une grue, un clocher suffisamment haut pour concurrencer les quatre minarets. Impossible ici de ne pas penser à l’irréductible curé italien, Don Camillo, qu’interprétait Fernandel.
Par ailleurs, la corniche face au port a été, si l’on peut dire, rebaptisée « Zaitunay Bay » dans la foulée de l’érection de buildings ultramodernes, mais l’ancien hôtel Saint-Georges fait lui aussi de la résistance en restant la propriété d’une famille chrétienne et en proclamant sur sa façade qu’il s’agit toujours de la baie historique de Saint-Georges.
L’ancien Holiday Inn à proximité, lieu névralgique d’un bastion de la résistance chrétienne, est resté en l’état depuis la fin de la guerre civile en 1991. Troué par des milliers de projectiles il rappelle au passant que les passions confessionnelles peuvent toujours dégénérer.
Alors pour retrouver ce qui faisait la beauté de ce pays, il faut prendre la route vers l’Est et suivre incidemment l’ancienne ligne de chemin de fer. En traversant la montagne du Chouf, d’un coup les immeubles disparaissent. C’est le signe de la volonté politique de Walid Joumblatt de préserver un bout du patrimoine national au moins sur le territoire Druze sur laquelle il a autorité. Quelques immeubles juchés sur une crête témoignent néanmoins des limites de son influence. Le Liban garde au-delà de Beyrouth, son authenticité et une beauté pas loin d’être légendaire.
Désormais pas d’autre solution que de prendre une voiture pour découvrir le Liban qui compte encore beaucoup de merveilles à découvrir. Et si possible avec un chauffeur car l’anarchie prévaut sur tous les axes et cela réclame une certaine habitude. Le plus habile des Parisiens y perdrait son latin.
On aimerait une belle affiche qui dirait « (re) découvrez le Liban en train ». Ce qui révèle que malgré toutes les avanies subies, le Liban fait toujours rêver.
Beaucoup de belles images sont à voir sur Gallica (aller directement en page 14).
(1) Institut du Monde Arabe de 16h à 18H le dimanche 15 juin, conférence sur les trains libanais par Elias B Maalouf.
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Vifs remerciements aux amis libanais qui m’ont guidé.
Oui c’était mieux avant. C’était plus beau!
Cela ressemble à ces histoires d’amour et de destruction entre un peuple et son pays. Arrêtons de le rendre si triste à ce cher Liban, et sauvons ce qui reste encore de ses montagnes, son littoral … et de son identité.
Merci Philippe pour cet article.
J’aime bien le côté je vous écris d’ ailleurs, même si cet ailleurs à le reflet glaçant d’une balle chauffée à blanc.