David a attrapé un rhume de chevilles !

La main de David (Michel Ange). Photo: Guillemette de FosCela devait arriver. A force de stationner comme ça debout sans bouger sur une seule jambe qu’il pleuve, qu’il vente et même qu’il neige, David souffre des membres inférieurs. C’était pourtant un berger endurci  à mener paître son troupeau et à en éloigner les lions et les ours. Une rude activité dont  l’athlète tire sa musculature qui contraste avec une bouche encore enfantine et des boucles de pâtre grec. Les journaux s’en sont émus. Visite du malade à Florence.

A faire le pied de grue pendant cinq siècles, le Juif sédentaire de marbre blanc tout droit venu des carrières de Carrare s’est fait statue au pied d’argile. Haut de plus de quatre mètres (hors socle) et lourd de près de six tonnes, le colosse menace de s’effondrer sous son poids. A réfléchir depuis une centaine de lustres à la meilleure façon d’affronter Goliath, ses fourmis dans les jambes se sont muées en plaies variqueuses et ses ulcères aux chevilles en talon d’Achille. Les Diafoirus qui ont cru malin de le masser à l’encaustique avant de l’enduire d’acide chlorhydrique n’ont en rien arrangé son état. Pas plus que l’alcool et le vinaigre jadis déversés sur les purulentes  pustules du roi Louis XV agonisant de la petite vérole… La statue est restée de marbre, pas le monarque gémissant.

Il faut dire que le marbre dont est tiré le chef d’œuvre de Michel-Ange est de si piètre qualité qu’aucun autre sculpteur n’était jusqu’alors parvenu à en tirer partie. Le jeune Toscan releva le défi. Il eut l’idée d’utiliser une béance dans la noble matière pour en faire un espace entre torse et bras. Du génie, de la maîtrise et de l’audace très tôt remarqués par Laurent le Magnifique, un Médicis  qui  n’avait pas que des florins dans la poche…

Le David de Michel-Ange est  d’harmonieuses et expressives proportions. L’artiste tire ses connaissances anatomiques du corps masculin d’observations de macchabées à la morgue. Son burin n’est pas que scalpel : sur son David, la conformité aux apparences  le dispute au vivant.

Le David de Michel Ange. Photo: Guillemette de Fos

Le David de Michel Ange. Photo: Guillemette de Fos

Pour Michel-Ange, l’œuvre réside en son entier dans les entrailles de la terre. Il revient au sculpteur de l’en dégager, de l’accoucher. C’est pourquoi  le Maître travaillait sans plâtre et sans essai, donc sans droit à l’erreur. Il sut extirper l’âme de la matière par d’infaillibles coups d’ébaucheur, de biseaux, de ciseau. En témoignent ses fameuses captives, statues inachevées destinées à orner le monument funéraire du pape Jules II : quatre esclaves en action tentant de s’arracher de la glaise qui les emprisonne encore.

David sort du marbre comme une évidence. Comme si la matière avait imprimée le Livre de Samuel. A le  contempler sous toutes ses coutures (il a été raccommodé des bras), à tourner autour de son corps à la nudité élancée, on devine à certains détails anatomiques l’état d’âme du futur roi des Juifs. Michel-Ange a choisi de le représenter avant son affrontement d’avec Goliath. David est seul et totalement nu, donc vulnérable. Il s’apprête à  défier un titan de six mètres de haut armé, amuré et casqué. Il n’a que sa foi en Dieu pour vaincre à main (presque) nue l’arrogant Philistin qui harcèle et humilie son peuple.

Sous son apparente décontraction, le héros biblique a passé une mince lanière de cuir par-dessus son épaule, un rudimentaire lance-pierre tenu en bandoulière pour prendre par surprise  l’adversaire (la grâce de Dieu n’exclut pas d’employer la ruse).  David est en position d’attente et de concentration extrême. Il est aux aguets, l’œil  inquiet mais pas apeuré. Il réfléchit à la meilleure façon d’attaquer le champion païen.  A son front pensif,  à ses sourcils à peine froncés on lit l’intensité de sa réflexion, la densité de sa tension intérieure, le poids de sa responsabilité.  On imagine son sang bouillonner dans ses veines plus torrentiellement que l’eau dans un canal étrusque. On lit dans ses muscles et tendons bandés la force démultipliée dont  il s’apprête à faire montre pour catapulter le caillou tenu caché dans sa main droite à  peine crispée. En mêlant détermination et confiance, Michel-Ange illustre magistralement ce qu’est la foi en Dieu. Un passage biblique entier inscrit dans la pierre pour l’éternité…

Avec le temps, le chef d’œuvre de la Renaissance accuse l’audace de l’excentration de la pose du héros et les méfaits du plein air. David repose presque entièrement sur sa seule jambe droite adossée à une souche. Florence l’a pourtant déménagé en 1873. Parti de la Piazza della Signoria, il mit cinq jours pour gagner la Galerie de l’Académie située à quelques encablures de là. C’est dire la fragilité du plus célèbre sans abri devenu hôte de marque sous la coupole de l’école de sculpture. Il  y côtoie – un comble pour son statuaire !- un incroyable étalage de plâtre et  gypses  divers, comme autant d’ébauches d’élèves rêvant  de dépasser le Maître. Mais même au chaud et au sec, jambes et chevilles présentent  des accès de faiblesse tels qu’il est exclu de faire circuler un tram aux alentours. Ou même d’ouvrir un chantier, les vibrations auraient raison de l’édifice pluri-centenaire. Un nouveau déménagement serait à l’étude pour mettre  le monument à l’abri du  risque sismique.  Les Florentins devraient alors se contenter de sa réplique en marbre actuellement dressée sur la  Piazza della  Signoria. Le visiteur s’interroge : le berger de pierre courageux songerait-il donc à délivrer la Sabine que deux Romains enlèvent sous ses yeux ?

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5 réponses à David a attrapé un rhume de chevilles !

  1. Bruno Sillard dit :

    Passionnante et amusante visite, et une chose en conclusion, la « gonflette »qu’elle soit à l’époque de Michel Ange où l’on aimait bien les muscles saillants ou de maintenant nécessite un entretien de tous les jours.

  2. Philippe Bonnet dit :

    J’ajoute en y réfléchissant que ce serait une élégante façon d’attendre l’autobus que d’imiter la statuaire antique. Pas forcément David, mais ce ne sont pas les exemples qui manquent. Imaginez-vous en Héraclès avec son arc ou en penseur de Rodin. Non? PHB

    • de FOS dit :

      J’aime bien l’image du penseur de Rodin réfléchissant à l’incidence des embouteillages sur la fréquence des autobus…
      Pourquoi ne pas remplacer le petit personnage – rouge à l’arrêt, vert en marche – illustrant le commandement des feux tricolores ?

  3. Joëlle H dit :

    Merci pour ce beau texte…

    Je me suis fait la réflexion suivante : un berger garde-t-il ses troupeaux dans sa totale nudité ?
    J’ai donc relu ce passage du livre de Samuel ( chap XVII, 38) : « Saül fit revêtir David de ses habits, mit sur sa tête un casque d’airin et l’endossa d’une cuirasse … »
    Bien entendu, artiste de la Renaissance, Michel-Ange s’inspirant de l’art grec classique, il se devait de le représenter nu et si beau !

    Et si David avait porté des chaussures de marche, peut être ne serait-il pas aussi fragile des chevilles à l’âge canonique de 510 ans ?
    J H

    • de FOS dit :

      Merci pour ce commentaire. J’en étais restée au refus de David d’endosser l’armure que le rois Saül lui prêtait.

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