Malgré son titre un peu sibyllin, “Les Amis de 1914“ ne désigne pas une association d’anciens combattants miraculeusement sortis vivants de la Grande Guerre. Créé en 1933 et actif jusqu’en 1939, ce cercle avait pour but de regrouper le Tout-Paris intellectuel qui avait participé, vingt ans plus tôt, à l’effervescence artistique de la capitale avant les années fatidiques. L’association tint des réunions hebdomadaires dans différents lieux de Montparnasse.
L’éditeur, imprimeur, typographe et poète François Bernouard, qui en est à l’origine, explique : « Les Amis de 1914 cela veut dire les artistes qui désirent se retrouver pour discuter de leur art avec l’esprit pacifique des jours qui précédèrent la catastrophe de 1914 ». Il est vrai qu’avant la « catastrophe », les débuts du XXe siècle ont quelque chose d’exceptionnel. C’est l’époque où tout bascule, où apparaît le cubisme, où le surréalisme est déjà en germe. Paris est l’indispensable lieu de rendez-vous des jeunes artistes venus d’Europe ou des autres continents. Picasso ou Modigliani en sont probablement les meilleurs exemples.
Artiste et esthète, proche de Jean Cocteau avec lequel il créa la luxueuse revue Schéhérazade, François Bernouard s’était surtout fait connaître en éditant certains ouvrages dont quelques-uns font aujourd’hui partie des trésors recherchés par les bibliophiles. « Je suis devenu typographe parce que mes premiers vers (parus en 1905) étaient si mal présentés que je n’osais les envoyer aux poètes que j’aimais » déclarait l’imprimeur, dont les livres s’ornent d’une caractéristique rose rouge dessinée par Paul Iribe.
La liste des Amis de 1914 que Bernouard parvint à rassembler est assez impressionnante. Elle comprend à peu près tous les grands noms du monde intellectuel d’alors, à l’exception des surréalistes. Beaucoup sont aujourd’hui un peu oubliés, mais d’ autres nous sont connus parce qu’ils ont fait partie de l’entourage proche d’Apollinaire, comme André Billy, André Salmon, Max Jacob, Paul Fort, le génial et extravagant poète Louis de Gonzague Frick ou encore Marie Laurencin.
Pour chaque réunion, Les Amis de 1914 publiaient un fascicule de quatre ou huit pages intitulé « Bulletin hebdomadaire de l’Académie de la Coupole ». Chaque réunion consistait en l’éloge d’un écrivain, peintre ou musicien, vivant ou décédé, suivi de lectures de poèmes ou d’un concert. En 1934, plus de 200 hommes de lettres, peintres, poètes étaient déjà venus vanter les mérites des auteurs reçus.
Mais on était là aussi pour se distraire. Les Montparnos, toutes générations confondues, participèrent notamment à un bal burlesque sur le thème d’Ubu Roi, à l’été 1934. Si le costume n’était pas de rigueur, on y a cependant prévu masques, chapeaux et cotillons. Il s’agissait aussi de récupérer des fonds pour aménager une nouvelle salle de réunion : « Là nous serons chez nous , on n’entendra plus les bruits de la rue, les garçons serviront pendant les entractes, la salle a dix mètres de haut, les fumées ne seront plus désagréables (…) Nos amis peintres décoreront la salle et les artistes viendront cette nuit là. Enfin tout sera fait pour que la gaieté le burlesque nous divertissent ».
L’opération dut avoir du succès puisque l’année suivante, l’association organisa un « Bal chez la concierge » , de dix heures à l’aube, avec « amusement et bavardage, déguisement facile, danses et chants, divertissements, rire » .
Le programme des différentes soirées musicales sont riches d’enseignements sur les goûts de l’époque. Les compositeurs français Fauré, Debussy ou Darius Milhaud y occupent des places de choix. Par ailleurs, il était habituel qu’on y entende des poèmes, dits par de jeunes comédiens. Et ce n’est pas sans émotion qu’on découvre, dans quelques-uns des programmes, le nom de Gisèle Casadesus, alors âgée d’une vingtaine d’années. La grande comédienne, toujours en activité, fêtera ses 100 ans le 14 juin prochain. Elle est probablement le seul témoin vivant de cette étonnante association des Amis de 1914.
Fameuse idée et fameux texte. PHB
Merci beaucoup de cette « information », de cette histoire que j’ignorais et qui montre encore comment la grande guerre a hanté les esprits.
Mais un point me vient par le hasard et l’analogie, sans ironie aucune : André Salmon n’aurait-il pas plus été un ami célèbre qu’un poète célèbre ? Je vois là un poème en son honneur, je me souviens du poème d’Apollinaire « lu au mariage d’André Salmon »… Finalement, n’est-ce pas là le plus important : être bien sûr, mais être aussi dans et par l’amitié ?
« Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver. » (R. Char) Celles d’André Salmon prouvent alors qu’il était bien poète.
Merci de ce commentaire . La jolie phrase de René Char me semble convenir parfaitement à André Salmon.