Noé, l’ancêtre biblique et coranique. Noé le patriarche élu pour sauver l’humanité du déluge voulu par Dieu pour punir les hommes de leurs péchés. Noé le charpentier de la grande arche à bord de laquelle il embarqua toute sa famille ainsi qu’un couple de chaque espèce animale vivant sur la planète. Noé la vertu personnifiée de la crainte et de l’obéissance à Dieu. Noé, vivante illustration du mystère de la foi en le Créateur. Il fallait de l’audace pour s’attaquer à ce monumental confluent des trois religions monothéistes. Pour oser coller des images – forcément définitives – sur un récit vieux de plusieurs millénaires, une légende sublime, mystérieuse, en un mot magnifique.
Illustrer l’ineffable, mettre en scène le prodigieux, signifier le mystique : le pari était osé sinon impossible… si la religion n’eût commandé aux croyants l’espérance. Mais ce salmigondis romancé des Livres Saints que nous livre le réalisateur américain Darren Aronofsky nous laisse à quai, honteusement réduits à espérer durant une grande partie du film le jour où la pluie viendra.
La traduction visuelle d’une légende sacrée millénaire pouvait-elle déboucher sur autre chose qu’un navet ? Noé n’est pas Astérix, l’humour est exclu en la matière. Et la vérité scientifique est impossible s’agissant du mystère de la foi. Reste l’allégorie, l’imaginaire, la transposition magistrale. En imposant au spectateur sa propre compréhension des textes, son tempo et ses images du fameux prodige biblique, le réalisateur bouscule la part d’enchantement qui résiste au fond de chacun. Il dérange des perceptions qui relèvent de l’intime… Peut-être eût-il fallu qu’il s’émancipe davantage du texte sacré au lieu de s’y laborieusement assujettir. Peut-être eût-il gagné à s’affranchir du séquençage appuyé de la Création dans la Genèse, du péché d’Adam et Eve avec pomme d’Api de pacotille et serpent jouet d’enfant. On songe au final de 2001 l’Odyssée de l’espace de Kubrick, un modèle de puissance et de légèreté combinée sur fond du tonitruant « Ainsi parlait Zarathoustra ». Il nous laissa scotché au fond du fauteuil. Au lieu de quoi Darren Aronofsky nous noie dans un fond musical insipide d’où émergent quelques sons de cloche. Le film sort pour Pâques.
L’acteur Russel Crowe interprète Noé. Le Gladiateur musclé s’est fait bûcheron au teint buriné pour trancher les arbres et les agencer en arche. La naissance miraculeuse de la forêt d’une larme du patriarche qui tire de ses rêves les ordres divins sont les seuls rares instants poétiques à ne pas manquer. Jennifer Connelly interprète son épouse à qui les ennuis, ô miracle, ne font pas de cheveux blancs. On l’aura compris, je n’ai pas aimé Noé. Son ferry biblique truffé d’effets spéciaux ne m’a pas embarquée. Question superproductions, j’ai jadis préféré traverser la Mer rouge à pied avec Moïse/Charleston Heston. Les Studios Universal me font davantage voyager dans l’espace et dans le temps que ces surimpressions éclair que mon œil peine à imprimer. L’âge peut-être…
Sans la poésie et la vertu musicale répétitive des textes sacrés, l’absurdité des situations surnage au point qu’on est parfois conduit à se moquer. Le pire est atteint avec le descendant de Caïn embarqué clandestinement à bord. Un méchant, bien sûr, puisque son aïeul a tué Abel. A travers ce sinistre personnage, le réalisateur américain sacrifie à la symbolique de la lutte entre le bien et le mal. Il aurait pu s’en passer, le film (2 h 20) eût été moins long.
Passons sur les invraisemblances du scénario. Elles sont au demeurant légion dans la Bible où les descendants d’Adam et Eve ont des durées de vie à désespérer les caisses retraite de la Sécu. A voir un poignard datant de l’âge de fer (!) dans la main de Noé s’apprêtant à sacrifier sa petite fille, on se croirait chez Les Visiteurs, sauf l’humour. Le geste du poignard levé rappelle au demeurant celui d’Abraham sur son fils Isaac. Darren Aronofsky a tout lu la Bible !
Pour conclure dans le sacralisé, j’ose ce onzième commandement : Noé, s’en dispenser.
La bande annonce était déjà très évocatrice. Je suppose qu’à l’instar de l’indépassable « Independance Day » on peut y aller juste pour rire. PHB
Merci de confirmer mon intuition consécutive à la bande annonce 😉
C’est un film de Darren Aronofsky. C’est en soi une raison de ne pas y aller… Il a commis des films crapuleux pour ne pas employer des mots plus forts comme « dégueulasses » ou « fascistes »…
Qui a eu la malchance de voir l’ignoble « Requiem for a dream » comprend ce que je veux dire… La critique qui a encensé « Black Swan », film lui aussi très très peu « humaniste », a encore une fois fait preuve de légèreté et se dédouane en assassinant ce qui doit être – paradoxalement – le moins pire dans une filmographie oscillant entre l’abject (Requiem…) et le stupide (The Wrestler avec l’incommensurable Mickey Rourke)
j’en veux à la sublime Rachel Weisz d’avoir vécu avec cet affreux personnage…