La récente réception de Michael D. Higgins, Président de l’Irlande, et Martin McGuinness, ancien responsable de l’Armée Révolutionnaire Irlandaise (IRA), au château de Windsor par la Reine Elizabeth consacrait le souhait de normalisation entre les deux Etats, près d’un siècle après l’indépendance de l’Irlande. La prison Kilmainham de Dublin, où furent enfermés de nombreux leaders de la rébellion irlandaise, est emblématique de l’indépendance à bien des égards. Aujourd’hui transformée en musée, elle se visite et son histoire mérite d’être racontée.
En apercevant le sinistre édifice depuis la rue dublinoise, on comprend qu’il ne faisait pas bon être enfermé dans la prison de Kilmainham. Cette noirceur n’est pas édulcorée en y pénétrant, loin de là. La construction de la prison, en 1786, était pourtant partie d’un bon sentiment. Il s’agissait de concevoir un établissement pénitentiaire modèle en mettant fin à la cohabitation des prisonniers dans une grande salle commune, comme cela avait été le cas jusque-là. N’incarcérer qu’un seul prisonnier par cellule permettait de mettre fin au bruit infernal et aux nombreuses rixes. Supervision, silence et sécurité, l’objectif recherché se résumait à 3 « S ». Mais si elle se voulait pionnière, cette prison n’en fut pas plus humaine pour autant, bien au contraire. Absence de lumière, froid, humidité, mauvais traitements : des conditions de vie épouvantables y régnaient, auxquelles il faut ajouter l’isolement des détenus dans leur cellule. Aucune communication n’était en effet autorisée entre eux, pas même pendant leur promenade quotidienne d’une heure dans la cour. Ils y marchaient les uns derrière les autres, en silence et tête baissée.
Avant 1845, la prison comptait au maximum 1000 prisonniers, hommes, femmes et enfants. Puis est arrivée la Grande Famine de 1845-1852 qui a causé près d’un million de morts et l’émigration de 2 millions d’irlandais sur plusieurs générations. La population de Kilmainham a alors commencé à augmenter jusqu’à atteindre 9000 prisonniers au pic de la famine, obligeant cinq détenus à partager une cellule de 5 mètres carrés. Malgré l’enfermement et les conditions de vie désastreuses, se faire incarcérer après avoir commis un larcin permettait de bénéficier d’un toit et de deux repas gratuits par jour, une aubaine en ces temps de disette ! Un garçon de 5 ans n’hésita pas et devint le plus jeune prisonnier de l’histoire de Kilmainham. Le régime n’était pas plus clément pour les enfants. Dès 13 ans, ils effectuaient des travaux de force et étaient fouettés régulièrement.
La prison ayant atteint ses limites, une seconde aile d’un style totalement différent fut construite. Dans le bâtiment d’origine, les cellules aux lucarnes sans vitres s’alignaient le long d’étroits couloirs sombres et humides. L’aile victorienne fut construite autour d’une vaste cour lumineuse, éclairée par une ouverture dans le toit. Chacun des trois étages donnait sur la cour fermée grâce à un système de coursives grillagées. Autant dire que les gardiens se disputaient pour travailler dans l’aile victorienne.
Kilmainham Jail est surtout connue pour ses prisonniers politiques. Pourtant 90 % des détenus incarcérés de 1794 à 1924, date de sa fermeture, étaient des droits communs. Bien qui minoritaires, les politiques internés ont marqué les mémoires car ils sont les acteurs de l’indépendance de l’Irlande.
Charles Parnell, figure de proue de la rébellion, est l’un d’eux. Riche propriétaire terrien, il avait été emprisonné pour ses activités militantes à la fin du XIXe siècle. Trouvant injuste que les paysans ne soient pas propriétaires de leur terre, il contestait le régime du pays. Parnell, avait droit à un traitement de faveur. Il bénéficiait de deux cellules (dont l’intérieur a été reconstitué) et d’une cuisine où étaient préparés des plats tout spécialement pour lui. Ce traitement de faveur est anecdotique. Il apporte une touche de légèreté au tableau particulièrement sombre de la violence exercée sur les détenus. Pour preuve, le sort des quatorze leaders de l’Insurrection de Pâques 1916 qui a mené à l’indépendance de l’Irlande. Emprisonnés à Kilmainham, ils ont été exécutés dans la cour de la prison. Une croix noire y marque l’endroit où Patrick et William Pearse, John Mc Bride, Joseph Plunkett et James Connelly, pour ne citer que les plus connus, sont tombés sous les balles de leurs bourreaux. Ce dernier, gravement blessé pendant les combats a été fusillé ficelé à sa chaise, car il n’était pas en mesure de se tenir debout.
Quant à Plunkett, son mariage avait été célébré à Kilmainham quelques jours auparavant. Conformément à la règle du silence, aucune parole n’avait pu être échangée entre les époux sinon les vœux et ils n’avaient pas eu le droit d’échanger de baiser. La veille de l’exécution de Plunkett, les jeunes mariés avaient pu se revoir pendant dix minutes et la règle du silence avait été exceptionnellement levée. Grace Plunkett écrira plus tard dans ses mémoires qu’inexplicablement, alors qu’ils avaient tant de choses à partager, ils n’avaient pas trouvé quoi se dire et étaient restés muets. Rien d’étonnant quand on sait que vingt militaires supervisaient ce dernier entretien !
Prison Kilmainham, Inchicore Road, Dublin . Entrée payante – Visite guidée obligatoire – Ouverture de 09:30 à 18:00 (dernière admission à 16:30)
Merci à Lottie de nous avoir fait frissonner dans l’humidité de cette geôle irlandaise ; et pour cette belle histoire d’amour des amants Plunkett.
Pas étonnant qu’ils n’aient pas trouvé de paroles à échanger, à la veille d’être séparés définitivement par le bourreau… Le régime « 3S » de Kilmainham était aux antipodes du « 3S » (Sea, Sex and Sun) actuel.