A cette époque voler était un acte chic, le low cost n’existait pas encore. L’avion affrété par Air France était, selon toute vraisemblance, un Vickers Viscount amélioré qui pouvait emmener quelque 60 passagers à la folle vitesse de 500 kilomètres heures. Il était équipé de moteurs à hélices Rolls Royce. Et si l’on juge par le menu servi le 10 avril 1954 sur la liaison Paris-Copenhague, c’était aussi un fameux restaurant volant.
La modernité passait par les airs mais il n’était pas pour autant question d’abdiquer ce qui faisait et fait toujours la gloire de la France, soit la gastronomie. Dommage que ce très distingué menu sur tissu frappé de deux oriflammes, n’indique pas quels vins ont été servis encore que l’on puisse imaginer la distribution d’un peu de champagne en coupe.
Le chef avait habilement panaché son menu en fonction de la ville de départ, de la destination et du transporteur. Y figuraient donc un « consommé de volaille tricolore » suivi d’un « turbot poché Copenhague », d’un « coq au vin Parisienne » et, pour finir, un « parfait Air France » ponctué d’un « moka ».
Les marchands de livres d’occasion proposent souvent à la marge des menus oubliés qui nous font rêver. Ainsi celui offert le lundi 6 mai 1963 par la Chambre de commerce et d’industrie de Mulhouse dans le cadre inaugural des liaisons Air Inter Paris-Mulhouse et Mulhouse-Lyon. Ses voyageurs, dont le journaliste du Dauphiné Libéré invité ce jour-là Monsieur Denarie, se sont donc lestés d’un filet de sole Air-Inter, d’un cœur de Charollais Wellington avec sa salade mimosa, d’un plateau de fromages et d’un parfait glacé aux fruits. Il leur a fallu avaler vite sur une aussi courte liaison et boire tout aussi rapidement dans l’ordre un Riesling 61, un Pomerol 55 et un Château-Yquem 54. La Chambre de commerce n’avait pas mégoté quoique le carton d’invitation fût un peu terne.
Les temps étaient encore généreux. Un peu plus tard, le duo de comiques « Les Frères ennemis » auront eu cette blague qui disait « et comment avez-vous trouvé le steak ? », réponse : « oh tout à fait par hasard, en soulevant une frite ». La faute aux nouveaux restoroutes.
Vous reprendrez bien un peu de parfait glacé. Nous allons bientôt arriver à Copenhague où la fraîcheur est elle aussi parfaite.