C’était à l’été 1976, à Montréal. A l’échelle de la Roumanie, c’était peut-être il y a un siècle. En tout cas, c’était à l’époque des tristes dictatures qui s’épanouissaient derrière le rideau de fer. Et la Roumanie, en 1976, écrasait le monde sous la dictature de 35 kilos de grâce gymnique. Elle s’appelait Nadia Comaneci. C’était un elfe à tous les agrès : elle prenait des risques insensés, elle toisait avec arrogance ses grandes concurrentes russes, elle n’était qu’entraînement et labeur, elle collectionnait les médailles. Et jamais elle ne souriait.
Lola Lafon en a fait un roman étonnant dans un procédé qui veut faire croire à la biographie autorisée alors que tout y est imagination, y compris dans la retranscription de conversations téléphoniques qui ne se sont jamais tenues avec la Nadia d’aujourd’hui.
Quiconque avait au moins 10 ans en 1976 se souvient de l’irruption du phénomène Comaneci dans le paysage assoupi par la torpeur caniculaire de cet été-là. Quiconque, c’est-à-dire y compris ceux qui ne regardent jamais le sport à la télévision ou ceux qui ne connaissent rien aux doubles et triples saltos. Quiconque, ça écarte peut-être ceux qui faisaient du macramé dans un ashram au Népal – 1976, c’était aussi l’époque du macramé triomphant mais Lola Lafon n’en parle pas.
Donc, nous sommes aux Jeux olympiques de Montréal. Nadia Comaneci, inconnue de tous, vient de boucler sa prestation à la poutre. D’abord regards interloqués des juges. Mais quel âge a ce petit bout de fille bondissante ? Puis regards interdits et clameurs houleuses du public quand s’affiche un impitoyable 1,00 sur le tableau de notation. Panique chez les officiels et les experts de l’informatique. La célèbre société américaine qui avait vendu son matériel et son expertise à l’organisation olympienne avait pourtant tout prévu dans un strict respect du cahier des charges. Sauf que le cahier des charges avait d’emblée exclu la perfection, celle qui obtient un 10 unanime. Un 10 impossible à afficher et que la technologie transformait en un pitoyable 1,00. Nadia Comaneci commençait d’imposer sa légende en défiant toutes les lois, y compris digitales.
Petit sac d’os et de soie, frêle moineau trop sérieux, petit elfe tenaillé par la volonté de travailler pour gagner, telle est celle que décrit Lola Lafon dans une fiction qui reprend les codes de l’enquête journalistique.
Dans ce roman, tous les personnages secondaires éclairent la trajectoire de la jeune gymnaste : une mère presque effarée par tant de détermination, des copines de classe ou d’entraînement qui gardent – malgré tout – la légèreté de leur très jeune âge, et un entraîneur… Indescriptible entraîneur aux côtés duquel le personnage que s’est confectionné celui de Laure Manaudou ressemble à un guignol effacé.
Béla est l’homme d’une intuition : pour former les gymnastes qui feront la gloire de la Roumanie – et la sienne – il n’y a qu’une voie, l’entraînement à outrance et une implacable discipline de vie qui passe par un régime alimentaire plus que draconien. Après s’être battu contre la bureaucratie de son pays pour obtenir le droit d’ouvrir son école de gymnastique, Béla part en guerre contre le monde entier. Il couve ses gamines pour les transformer en gagneuses de médailles, petites soldates affamées et tout en muscles. Dans une scène d’une incroyable drôlerie, il livre bataille contre une armée de vigiles du Palais des sports de Paris afin de lancer son prodige sur le devant de la scène mondiale de gymnastique. Il gagne. Elle aussi. C’est le début d’une carrière aussi tonitruante qu’éphémère. Béla obtiendra tous les soutiens de son pays, en particulier de la part du sinistre couple Ceaucescu, pas peu fier de faire la nique à son grand frère soviétique d’alors.
Pourtant la discipline façon légion étrangère ne peut rien contre l’inéluctable transformation de la puberté. Tous les admirateurs conquis en 1976 se souviennent avoir commenté les apparitions ultérieures de Nadia devenue jeune femme d’un « elle a drôlement grossi ». Nadia perd ses repères, apprend la balourdise, découvre à Bucarest l’insouciance et les excès de la vie étudiante. Comme pour inscrire son déclin dans l’Histoire, elle ne rencontre plus que des curieux qui viennent la voir seulement pour constater qu’en devenant femme, elle a perdu la grâce, la force et le génie. Elle effectuera – mais à quel prix – un improbable retour aux JO de Moscou en 1980.
Et c’est là aussi que ce roman prend un tour qui vaut plus que la résonance des souvenirs d’un épisode sportif : Lola Lafon est sans doute moins dans le roman lorsqu’elle évoque comment la fabrication de champions devient un enjeu de la guerre froide, un enjeu de la guerre entre pays frères mais aussi un enjeu de la survie de la dictature roumaine.
Nadia Comaneci vit aujourd’hui dans l’anonymat du continent nord-américain. Lola Lafon lui prête des propos ambigus et ne dissimule rien des épisodes peu glorieux de ses amours avec un fils Ceaucescu, d’une absence totale de conscience politique, d’une arrivée ratée et surexploitée sur le sol américain. Un ange déchu ? Non, elle n’avait rien d’un ange, à part les ailes…
« La petite communiste qui ne souriait jamais ». Lola Lafon. Ed. Actes Sud.
J’aime beaucoup cet article qui donne bien envie d’entrer dans une librairie…
effectivement il donne envie de lire le livre. Si seulement ce dernier pouvait etre aussi bien ecrit que l article qui le met en valeur.
J’attends l’écrivain(e) qui se dévouera pour raconter la triste histoire de Colette Besson, championne olympique française du 400 mètres en 1968 et qui n’a pas couché avec Philippe de Gaulle… mais qui n’a rien tiré de sa vaine gloire… sans doute parce qu’elle était communiste (elle !)… Comme quoi le sport à l’ouest, ce n’était pas mieux qu’à l’Est…
Plus sérieusement, j’en ai assez de ses écrivains de « biopic » (on devrait créer l’affreux néologisme « biobook ») : Les vies romancées de DSK, de Barbara Loden, de Mme Courgeaud, ou sans doute un jour de Francis Heaulme ou de David Douillet, ne sont pas intéressantes… C’est la fin du roman, même si on va m’opposer « Blonde » de JCOates. Disons donc, qu’on ne devrait laisser qu’aux grands écrivains le droit de transformer en personnages de fiction des personnes réelles…
Mais quand de plus en plus de romans utilisent du matériel de fait-divers et ne « racontent » que des choses « inspirées d’une histoire vraie »… C’est la fin de la littérature…
Je lance une pétition : « Écrivains créez vos personnages »…
Ont déjà signé : Ivanhoé, Bartleby, Bardamu, Nathan Zuckermann, le colonel Auréliano Buendia et Lov V. Stein…
Le Prix de la Closerie des Lilas a été attribué aujourd’hui 9 avril au second tour à 8
voix à Lola Lafon pour La petite communiste qui ne souriait jamais
paru aux éditions Actes Sud contre 7 voix à Inès Benaroya pour
« Dans le remise » paru aux éditions Flammarion. Hasard, hasard. PHB
Qui a oublié ce gracile prodige de souplesse, d’audace et de légèreté ?
Merci Marie de la ressusciter.
J’ai lu quelque part que Nadia Comaneci était devenue mannequin aux States. Plutôt étonnant car les modèles sont en général de grande taille alors que les gymnases sont toujours petites. Les exercices répétitifs sont de nature à entraver leur développement.