Je feuillette un numéro spécial du Chasseur Français consacré à 130 ans de petites annonces matrimoniales. La petite et moyenne bourgeoisie qui s’est installée dans les meubles de la noblesse après la Révolution française, en a reproduit les règles du jeu. On veut bien qu’un sang impur, celui du peuple, abreuve nos sillons, mais il est clair qu’on ne mélangerait pas le sang de la famille avec celui dont circulerait dans ses veines, un sang qui ne viendrait pas du « beau monde ».
Les bonnes familles savaient se nourrir d’un irrésistible ennui. Mais un vrai mariage se devait d’être arrangé pour être certain qu’un jour on ne voit pas le palefrenier s’inviter à la table familiale. La fin du XIXème siècle, siècle de toutes les révolutions industrielles, fut aussi celui d’une presse, dont les tirages de l’époque n’ont jamais été égalés depuis. On attendait impatient la suite du roman feuilleton, on recopiait les patrons des dernières robes à la mode et on ne manquait pas de se laisser emporter par le flot des réclames. Et puis un jour, la petite annonce matrimoniale ouvrit discrètement la porte aux rencontres impossibles, loin de la pesanteur familiale, loin également du regard que l’on devine derrière le rideau de la maison d’à côté.
Pourquoi le Chasseur Français fut-il le journal de référence des petites annonces de rencontres ? Peut-être est-ce parce qu’il a longtemps symbolisé la France industrielle, la France moderne où l’on parlait d’armes et de pêche, de vélos, d’appareils photo ou d’automobiles. En 1850, Charles Havas qui avait « inventé » la petite annonce payante, a offert à la presse une poule aux œufs d’or. On retrouve bien évidemment une rubrique de très lucratives petites annonces dans le Chasseur. Ou on peut y trouver de tout, des actions, des chiens, des armes, des fonds de commerce aussi !
Et puis vers 1888 entre la vente de huit bouteilles de vin et celle d’un cageot de plants de choux-fleurs on a pu lire une discrète annonce : « Jeune homme de 28 ans, brun, de très bonne famille, établi petit commerce de luxe , banlieue de Paris, position modeste épouserait jeune fille, orpheline ou non, honorable, ayant fortune, de préférence brune et musicienne. (Juin 1888) ».
Peu importe que cela soit celle-ci où une autre, la petite annonce matrimoniale était née. Dans cette dernière, tout y est, un monsieur peu argenté cherchant bonne fortune auprès d’une jeune fille riche et bien éduquée (orpheline elle a dû recevoir une éducation religieuse… et elle n’a sans doute pas d’héritiers concurrents). En cette fin de siècle, on a la tête que l’on peut pourvu que la bourse soit bien pleine. A meilleure preuve, pendant longtemps il fut interdit de demander en retour des photographies. Par souci de moralité ?
Rares sont les annonces qui ne mentionnent pas les revenus acquis ou souhaités, mais il est vrai qu’alors, il n’existait pas de protection sociale. Les femmes ne viendront grossir le flux des annonces qu’en 1896.
On compte 60 annonces en 1895, 120 en 1905, 5.880 en 1935. 11.280 en 1975, puis sans doute est-ce la fin de ce genre de publication ? 4.500 en 2000.
Une autre annonce curieuse : « Demoiselle 38 ans, riche, distinguée, aimable, grand cœur, très casanière, n’aimant pas beaucoup le monde, désirerait prendre comme pensionnaire un monsieur âgé, riche et absolument sans famille, désirant s’assurer une vieillesse heureuse, toute de dévouement. Surtout ne pas confondre avec ménage. (Mai 1900) » Avec le XXème siècle, un peu de tendresse se glissera dans les textes. Il fallait bien que tous ces hommes puissent en rêver, eux qui sans le savoir allaient bientôt se perdre dans la boucherie que sera la première guerre mondiale. Lisez celle-ci : « Jeune homme très beau, 23 ans, diplômé études supérieures, goûts artistiques, désire mariage avec personne sentimentale, ayant même goûts et disposant fortune permettant de voyager. Age indifférent. (Janvier 1913) »
Mais l’époque reste sévère : « Catholique pratiquant, frère prêtre, meilleure éducation, diplômé, officier de réserve, 30 ans, paraissant très jeune, santé et physique agréable, temporairement Allemagne, situation 7.000, quelques économies, épouserait préférence orpheline distinguée, très jeune, dot en rapport. (Mars 1913) »
Le Chasseur s’arrêta en août 1914 et réapparut en juillet 1919 avec son cortège d’ombres tragiques, celle des gueules cassées longtemps condamnées à ne vivre qu’avec la solitude comme unique compagne : « Grand cœur, officier défiguré, correspondrait avec personne douce. (Août 1920) »
La vie reprenait ses droits et ses règles imbéciles : « Adorant enfants, mais n’en ayant pas, ménage négociants quarantaine, possédant auto et villa Marseille, adopterait enfant caché, bonne origine, avec dot, pour élever en rapport situation. (Décembre 1929) »
Mon esprit vagabonde, le Chasseur Français poursuit son passionnant voyage, après la guerre on ne cache plus son enfant : « Jeune fille ayant un enfant désire correspondre avec jeune homme 24, situation ayant souffert.( Août 1957) ». Les mœurs se libèrent en même temps que les cuisines se colorent en formica. Quoique ! Cette annonce témoigne du contraire : « Industriel métallurgie, je ferais belle situation et succession à ingénieur ou dessinateur épousant ma fille, 27. Catholique, accepté sans fortune. (Mars 1958) ».
Une autre dont le propos est à la fois direct et mystérieux : « Veuve 43 ans, 3 enfants, 1 à charge, rencontrerait homme ayant souffert. Grand, simple, sexuel, sentimental. J’accepte de changer de régions. (Février 1970) ». Les années 60 marquent un tournant pour les femmes : « Cadre 36, élégante, sportive, épouserait monsieur personnalité, situation aisée. (Novembre 1966) »
Allez une irrésistible dernière annonce : « Polytechnicien célibataire, 49 ans, épouserait femme, 37-48, formation mathématique élevée, docteur, agrégée ou licenciée mathématique ou physique ou ingénieur supérieure télécommunication, électricité, optique, polytechnique féminine ou analogue ou ingénieur ou agent technique électronicienne ou profession médicale. Nucléaire s’abstenir. (Octobre 1967) »
Au bout de son déclin et 450.000 annonces plus loin, le Chasseur estime à 711.500 enfants le fruit de ces échanges épistolaires, soit à l’époque actuelle 4,5 millions d’enfants sur cinq générations. Peut-être un peu beaucoup pour un banquet de famille ?
Pour l’heure le Chasseur Français se réveille sur le tard au numérique avec un site un site délicieusement rétro, brindamour.fr. Mais la concurrence est rude…
Hors Série Le Chasseur Français. La grande histoire des petites annonces. 500 annonces et un passionnant portrait de 130 ans de vies ordinaires.
(chez votre marchand de journaux préféré). 6,90 euros.
Comment faire un article épatant. Merci â vous. S.
Quel édifiant voyage dans le temps !