Puisque Apollinaire est aujourd’hui entré dans le domaine public, que ses archives et ses éditions les plus rares sont consultables par tous, grâce au site Gallica de la Bibliothèque nationale de France, il nous a semblé amusant de partir en quête de ce qu’on pourrait appeler, de façon très inélégante, les… produits dérivés de l’écrivain.
Comme la plupart des hommes et ou femmes célèbres, Apollinaire a fait l’objet d’un timbre à son effigie. Nous ne nous permettrons pas de juger la qualité esthétique de cette vignette, mais l’auteur a pris soin d’indiquer le titre de ses deux grandes œuvres poétiques, d’y faire figurer une bibliothèque, de représenter un casque troué rappelant le combattant, ainsi qu’un masque d’art africain dont Apollinaire a été l’un des premiers découvreurs. Ce timbre qui date du 20 mai 1961 figure sur quelques cartes postales « premier jour » avec différents portraits du poète.
La reproduction du tableau qu’en fit le peintre cubiste Jean Metzinger est probablement le document le plus intéressant, à défaut de figurer parmi les plus répandus. Mais il convient de citer le très beau dessin de Picasso qui représente le soldat Apollinaire en uniforme, le calot militaire sur la tête (et une petite barbichette qui n’a rien de militaire). Une autre carte postale nous donne à voir une des plus célèbres photos du poète, la tête cerclée d’un bandeau de cuir, suite à sa trépanation après avoir été touché d’un éclat d’obus le 17 mars 1916 au Bois des Buttes. La légende indique « Guillaume Apollinaire, célèbre poète français » avec, au verso, la précision « précurseur du surréalisme » (on cite même la source : Nouveau Larousse élémentaire ). Nous sommes plus près de la réalité qu’avec une autre enveloppe ornée d’une reconstitution approximative d’un calligramme et la légende « Poète et littérateur symboliste ». Il se pourrait qu’Apollinaire, inventeur de L’Esprit Nouveau, eût provoqué en duel l’auteur de ce qualificatif.
Les Belges ne se sont pas montrés rancuniers après le fameux épisode de Stavelot (Ardennes belges) où, à la demande de leur mère, Guillaume et son frère Albert, dans la nuit du 5 octobre 1899, quittèrent secrètement et sans payer la note, la Pension Constant où ils avaient passé trois mois de villégiature. Les Stavelotains se sont même montrés grands seigneurs, puisqu’un musée Apollinaire a été ouvert, et qu’une plaque rappelant le passage des deux jeunes hommes a été apposée sur l’ancienne pension Constant, devenue l’hôtel « Ô Mal Aimé », comme il se doit.
En matière philatélique, on trouvera une enveloppe avec le portrait de Mareye la petite Stavelotaine avec laquelle Guillaume connut une amourette (et pour laquelle il écrivit même des vers en wallon) et une carte postale devenue quasiment introuvable : le fameux hôtel du Mal Aimé, tel qu’il se présentait il y a une trentaine d’années, au temps où le propriétaire avait tenu à garder en l’état la chambre qu’avait occupée le poète. On ne visite plus aujourd’hui, hélas, la chambre de Guillaume, et le musée n’offre que des documents fort modestes. Mais au moins ce musée existe-t-il, et la ville de Stavelot accueille assez régulièrement des congrès ou séminaires avec les meilleurs spécialistes mondiaux de l’œuvre d’Apollinaire.
La Principauté de Monaco s’est montrée particulièrement généreuse quant à la célébration d’Apollinaire qui, on le sait, y accomplit la grande partie de sa scolarité, entre ses 8 et 15 ans (1888-1895). C’est d’ailleurs avec un timbre inspiré d’une photo prise lors de sa Communion solennelle que les Annales Monégasques ont fêté, en 1996, leur XXe anniversaire. La Poste de la Principauté a également édité un timbre représentant un Apollinaire assez jeune, fumant la pipe, pour le centième anniversaire de sa naissance, en 1980. Traditionnellement, ce portrait est attribué à Géry Piéret dont le nom figure d’ailleurs en lettres minuscules sur le côté de la vignette. Piéret est ce personnage assez fantasque, qui avait séduit Apollinaire au point de lui inspirer le personnage du baron d’Ormesan dans L’Hérésiarque et Cie. Personnalité très pittoresque mais assez peu recommandable, Géry Pieret, qui avait un moment occupé les fonctions de retoucheur au musée du Louvre, avait tout bonnement dérobé deux statuettes ibériques au musée du Louvre, les revendant ensuite à Pablo Picasso.
L’attribution de ce portrait à Piéret provient du véritable auteur du dessin, le poète Florian-Parmentier qui dévoila lui-même la supercherie. Le dessin avait été réalisé à la Closerie des Lilas lors de la sortie de prison d’Apollinaire, accusé à tort d’avoir volé la Joconde, en 1911. « La part de la mystification, chez Apollinaire, n’est pas entièrement négligeable, écrit Florian-Parmentier, ne serait-ce qu’à titre de levain poétique….. Nous eûmes l’enfantillage d’attribuer à Géry Pieret le croquis que je venais de faire et c’est ainsi que dans mon Anthologie critique (1911) figure un portrait d’Apollinaire avec cette légende « Croquis de Géry Piéret, retoucheur au Louvre »». (*)La supercherie fut tellement réussie qu’aujourd’hui encore le portrait est généralement publié avec la signature de Géry Pieret.
L’enquête philatélique nous a encore conduit jusqu’à des lieux tout à fait inattendus, comme la ville de Bombay, en Inde, où l’Alliance Française eut la bonne idée de célébrer le centenaire de la naissance du poète par l’édition d’une enveloppe avec reproduction de l’un de ses dessins ainsi que d’un calligramme réalisé pour l’exposition Survage en 1917.
Les visites de musées réservent également de bonne surprises : c’est à Berlin par exemple qu’on trouvera la reproduction d’un amusant dessin de Picasso où l’on voit un Apollinaire très digne marchant devant la Bourse de Paris, des documents d’homme d’affaires à la main, promenant un petit toutou (le chien de Mme de Kostrowitzki mère ?). Cette caricature date de 1905. De Picasso encore, le fameux portrait charge d’Apollinaire en Académicien provenant celui-là, du musée Picasso de Paris.
Il est fort possible que d’autres documents se rencontrent dans d’autres villes ou d’autres pays : on peut légitimement penser, par exemple, que des éditions particulières aient pu être faites à Rome, ville natale du poète. Si des lecteurs des Soirées de Paris avaient connaissance de quelque chose…
(*) On trouvera le manuscrit des révélations de Florian-Parmentier dans le numéro d’octobre 1976 de la revue d’études apollinariennes « Que Vlo ve ».
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Bravo, on apprend une foultitude d’informations dans ce bel article fouillé, documents à l’appui, sur Apollinaire timbré. Merci encore pour ces précisions.