Attablés à la terrasse du Quadri place Saint-Marc à Venise pour siroter leur stretta, ils les avaient trouvés plutôt sympas. Sur le sol du Quadrilatère ces oiseaux dessinaient avec les badauds un échiquier vivant en mouvement constant. A l’époque, leur intrépidité à trottiner ainsi au pied des touristes en dépit d’un rapport de taille défavorable aurait dû les alerter… Mais ils n’en avaient eu cure, ils avaient d’autres chats à fouetter.
Ils avaient préféré le Quadri à son rival d’en face, s’amusant de l’allure déjantée d’un des musiciens de l’orchestre. Courbé en deux sur son violon, le smoking usé jusqu’à la trame constellé des pellicules que produisait en abondance une chevelure pourtant clairsemée, l’artiste voguait dans un espace-temps symphonique à mille lieues du grand Lion au pied d’airain. Vivant symbole de la grandeur et décadence de la Sérénissime ! Ils en avaient ri longtemps tout en s’extasiant sur ces effrontés dont Wagner même ne parvenait pas à dominer les roucoulades.
Lorsqu’ils retrouvèrent les pigeons en bandes organisées de proximité, ils déchantèrent. Des couples de palombes bien ordinaires s’étaient installés sous leur toit pour y nicher sans vergogne. Ils crurent qu’une fois nés les petits, les volatiles prendraient la poudre d’escampette. Ils étaient loin d’imaginer que des générations viendraient ici s’établir, donnant naissance à une vigoureuse lignée de tétrapodes ailés dont l’épaisseur des fientes attestait de l’incroyable fécondité. Le cœur soulevé, ils effaçaient les déjections collantes qui maculaient jour après jour maculaient leurs marches d’escalier mieux qu’un tarmac d’aéroport.
Père garde toi à droite, père garde toi à gauche… Ils apprirent à poser sur le sol un pas soupçonneux tout en se méfiant de ce qui tombait du ciel. Ils avaient des yeux de mouches, à facettes. Le pigeon devint peu à peu leur hantise. Ils lui trouvaient l’œil torve, la plume terne, la queue mitée et le bec crochu. Et méchant avec ça. Le ramier avait chassé la pie sans qu’on ait gagné au change. Aux bruyantes jacasseries avaient succédé d’horripilants roucoulements. Ils allèrent jusqu’à s’indigner qu’on ait pu réunir, le temps d’une chanson, moineaux et pigeons en quête de vieux pain sur un balcon. C’était mélanger torchons et serviettes.
Aussi mirent-ils leur fibre inventive au service de la chasse à la palombe. Ils firent l’acquisition de répulsifs qui s’avérèrent d’une coûteuse inefficacité. Ils se muèrent en architectes et obstruèrent le haut des gouttières avec tout ce qui leur passait par la main. Les voltigeurs saluèrent l’acrobatie avec force roucoulades sur un air qu’ils tenaient du merle moqueur. Ils devinrent ingénieurs du son et réglèrent au maximum l’appareil à ultra-sons censé déloger les « incrustes ». Même pas mal !, leurs pigeons étaient plus sourds que Quasimodo sonnant les cloches de Notre Dame. De guerre lasse, nos amoureux de Venise songèrent à la stérilisation. Mais elle impliquait la capture outre un minimum de connaissances anatomiques pointues… Ils n’allaient tout de même pas faire envoyer les plombs… Encore qu’un voisin exaspéré se disait expert en tir à la carabine. Ce Malin leur jouait l’air de la tentation quand un beau matin ce fut l’espoir. Un froufroutement d’ailes apeurées dans un conduit de cheminée leur laissa penser qu’un pigeon s’y débattait sans parvenir à s’extraire. A prêter une oreille attentive, il s’avéra qu’ils étaient deux, c’était encore mieux. Avant que leurs rémiges ne s’ankylosent, décision fut prise de recueillir les oiseaux dans un carton avant de leur indiquer obligeamment la sortie…
A l’ouverture de l’emballage, après un court moment de stupeur et tremblements, les pigeons hébétés prirent enfin leur envol. Mais le soulagement fut de courte durée quand d’un large virage sur l’aile les tourtereaux empruntèrent la trajectoire du boomerang. Au secours, les Tanguy ailés sont de retour !
Mais la déception se mua bien vite en respect. Ces ramiers basiques devaient compter des voyageurs au long cours dans leur arbre généalogique. Et pourquoi pas Cher Ami, le valeureux pigeon rapatrié en héros aux USA à l’issue de la Grande guerre pour avoir sauvé la vie à deux cents fantassins américains lors de la bataille de l’Argonne ?
J’ai un voisin dans mon immeuble fortement décrié parce qu’il nourrit quelques volatiles errants, les pigeons n’étant pas les derniers à s’inviter au festin. Le même voisin se voit également reproché de nourrir les chats du quartier. On aurait pu croire que ces derniers allaient couper l’appetit au premier, las non! Les deux compagnies ont inventé l’entente cordiale.
Puis vinrent les corbeaux…. (qui ont presque chassé les mouettes des villes lacustres)
hello Guillemette, maintenant on attend tous l’histoire de la bataille de l’Argonne !
A propos de pigeons…: As tu vu l’émotion soulevée par les deux colombes lâchées par le pape sur la place Saint Pierre en signe de paix (d’espoir de paix) pour Kiev ? A peine lancées, d’affreuses mouettes ont fondu sur elles et les ont dépecées en plein vol ! Triste présage ! Du coup les députés italiens, révoltés, ont décidé sur le champ, dans un élan patriotique viril, pour sauver l’honneur romain, d’un geste fort réparateur: une commission parlementaire pour statuer sur le sort des mouettes . On attend le résultat… A bientôt ! Amitiés Martine
Je l’ignorais Martine. Le pape François serait donc moins doué que son saint patron d’Assise…
La cruauté des mouettes n’a d’égal que leur audace : j’en ai vu chiper en plein vol des bouts de pain au nez et au bec des cygnes. Et ce n’était pas qu’un jeu.