Au début, on se dit qu’on ne lira pas jusqu’au bout ce énième ouvrage sur la révélation d’une homosexualité, qu’une auto-thérapie ne fait pas œuvre littéraire et qu’on ne compte pas sur nous pour tirer sur une ambulance devant une telle souffrance mise à nu.
Puis à faire défiler les pages de l’ouvrage, on est peu à peu scotché par l’incroyable violence de ce récit autobiographique narrant au quotidien la gestation puis la naissance d’une homophilie dans la France profonde.
Un enfantement qui n’est que douleur jusqu’à la délivrance. Une césarienne bien sûr, il faut trancher d’avec l’ascendance.
Le livre d’Edouard Louis publié au Seuil raconte par le menu le combat qu’Eddy Bellegueule mène depuis son plus jeune âge pour devenir un garçon comme les autres, un vrai dur respecté de tout l’entourage. Mais les efforts entrepris semblent voués à l’échec, l’attirance pour le même sexe est là, qui commande.
L’ouvrage apporte sa pierre au débat qui oppose scientifiques et philosophes depuis l’Antiquité quant à la part d’inné et d’acquis chez l’homme. A y réfléchir, Eddy Bellegueule est le témoignage vivant de la formule célèbre du généticien Axel Kahn « Nous sommes 100 % inné, 100 % acquis« . Sa destinée résulte de déterminants biologiques qu’ont façonnés les relations avec l’entourage. D’abord il y a les parents dont l’attitude choque : exploits sexuels du couple un peu trop démonstratifs, nudité ostentatoire du père. Et puis il y a les liens noués avec les camarades, toujours en déséquilibre : en demande, Eddy est prêt à tout pour s’en faire aimer. Enfin, violents sont les traumatismes qu’il a vécus alors qu’il était encore enfant : petits jeux pervers, viols répétés.
Eddy Bellegueule, c’est un peu un Rougon–Macquart né XXIème siècle. Sur lui pèse le poids des tares familiales (alcoolisme, chômage, racisme tous azimuts) et l’influence du milieu : haine du pédé chez les moins cultivés. (La culture sauve mais c’est un peu caricatural tout de même…). A ce propos, on pense au film d’Abdellatif Kechiche, La vie d’Adèle. L’homosexualité serait mieux acceptée chez les bourgeois-bohèmes que chez les moins branchés, et davantage en ville qu’en zone rurale. Or chez Eddy, on ne dîne pas, on mange. Pire on bouffe.
Encore heureux qu’Eddy ait embarqué dans sa valise héréditaire cette formidable volonté de s’en sortir (sa méthode Coué « je suis un dur ! ») et un incroyable sens de la narration qui lui vaut aujourd’hui d’être en tête de vente des ouvrages littéraires.
L’auteur vomit ses tripes en gerbes d’épisodes crus narrés avec franchise mais sans provocation. Lui restent des traces de candeurs enfantines. Le regard qu’il porte a souvent la distance grave des gens habitués à souffrir. Ainsi, à propos de ses camarades de jeu : « Je suis resté assis dans l’herbe et j’ai condamné leur comportement. Jouer aux homosexuels était une façon pour eux de montrer qu’ils ne l’étaient pas. Il fallait n’être pas pédé pour pouvoir jouer à l’être le temps d’une soirée sans prendre le risque de l’injure ».
La qualité d’écriture du roman épouse la chronologie des évènements tirés d’un journal intime. Aussi va-t-elle crescendo, comme l’ascension d’Eddy vers l’âge mûr. Terminus à vingt-et-un ans seulement.
Publié au Seuil
Quel talent dans cette mise en appétit si vivante et tellement fine de ce livre ! Merci de nous inciter avec cette fougue communicative à lire et à aimer un ouvrage qui apporte en effet une pierre terriblement humaine et vraie au débat trop souvent caricatural sur l’homosexualité : tout le monde y dit tout et n’importe quoi, de préférence sans savoir… !
Oui, lisez ce livre, c’est une excellente façon de réfléchir au regard que nous portons sur les autres…. et à nos propres a-priori !
Bravo ! J’ai lu le livre la semaine dernière et je dois dire que cette façon d’en parler est remarquable et me donne l’envie de le relire encore et encore. Il n’est pas toujours facile de survivre à son environnement et on ne naît pas souvent où on voudrait…
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