Moins célébré que son ami Diego Velasquez dont il est l’exact contemporain, Francisco de Zurbarán (1598-1664) ne pouvait être qu’espagnol. Et pas de n’importe quelle province : ses origines sont dans la terre la plus aride, la plus sévère de la péninsule, l’Estremadure, au sud-ouest de Madrid. Ce n’est pas l’Espagne de cour, des mantilles et des éventails ; c’est celle, sombre et austère, des peintures noires de Goya, celle du Cante Jondo, le « chant profond », dont l’âpreté traduit au mieux la violence des sentiments. Mais cette âpreté est souvent au service d’un mysticisme propre à un peuple qui a produit les grandes figures comme Saint-Jean de la Croix ou Sainte-Thérèse d’Avila. Zurbarán est de leur famille.
Depuis quelques jours dans les salles du Bozar de Bruxelles, sont exposées une cinquantaine de toiles parmi les plus importantes de Zurbarán. L’exposition, qui fait suite à celle de Ferrare en Italie, constitue sans nul doute un événement car ce peintre majeur de l’âge d’or espagnol n’a pas fait si souvent l’objet de rétrospectives. Présentée de façon chronologique, elle retrace le parcours d’un homme dont les thèmes, essentiellement religieux, sont traités avec une franchise extrême, mais où la réalité devient miraculeusement transcendée.
Voyez son extraordinaire Saint-François, se tenant debout, hiératique, tête baissée sous une immense capuche, un crâne au creux de ses mains jointes. Lumière crépusculaire, tons bruns, bistres et marron. Aucun détail superflu. Zurbarán va à l’essentiel. Cette méditation que rien ne semble pouvoir déranger, le spectateur l’éprouve à son tour. Ses Christ en croix donneraient le frisson au pire des mécréants. Son célèbre Agneau mystique (venu spécialement du musée de San Diego), trouble par sa simplicité totale.
Pour qualifier cet art si spécifique, les commissaires de l’exposition parlent d’un « pathos serein ». L’expression nous semble particulièrement appropriée. Car Zurbarán, apparemment impassible, voire radical, traitera ses splendides Natures mortes avec le même souci de réalité – plus que de réalisme. S’il exploita peu ce thème dans lequel il se révèle également un maître, on apprendra que son fils Juan, qui ne vécut que 29 ans (il décéda de la peste en 1649), poursuivra l’œuvre inachevée de son père.
Si elle offre beaucoup d’émotion, l’exposition bruxelloise permet également la découverte de quelques pièces jusqu’alors jamais présentées au public (comme une Apparition de la Vierge à Saint-Pierre Nolasque, commande du couvent de la Merced Descalza, à Séville, aujourd’hui siège du musée des Beaux Arts de la ville). Elle donne aussi l’occasion de comprendre la réalité du travail d’un peintre au 17è siècle : lorsqu’il s’agit de réaliser des œuvres destinées à l’exportation (les pays récemment conquis du Nouveau Monde), l’artiste semble moins exigeant et se fie à son métier plus qu’à son inspiration.
Le génie réapparait en tout cas dans toute sa splendeur avec son époustouflant Christ en croix proposé comme ultime image de l’exposition, dans la douzième et dernière salle. Le Christ est contemplé par un peintre qui tient une palette à la main. Il y a dans le regard quasiment amoureux de l’homme autant de vénération que de fraternité. Cette représentation serait unique dans toute l’histoire de la peinture. Traditionnellement, le peintre qui observe le crucifié est considéré comme étant saint-Luc, patron des peintres (mais aussi des médecins). Certains auraient voulu voir la représentation de Zurbarán lui-même. Sans doute s’agit-il d’une interprétation toute romantique, et hors sujet, anachronique. Mais comment ne pas y céder ?
Palais des Beaux Arts, 23 rue Ravenstein, Bruxelles.
Tous les jours sauf le lundi, jusqu’au 25 mai.
www.bozar.be
Pour moi une découverte. Merci beaucoup. S.
Merci pour ce bel article. On peut voir deux ou trois toiles de Zurbaran au musée Goya de Castres. Pour ceux qui voudraient approfondir, je conseille la lecture de « Désir d’Espagne » (Actes Sud) : Cees Nooteboom a écrit des pages mémorables sur le peintre (et sur son pays) . Et Michel Del Castillo dit l’essentiel sur ce maître dans son « Dictionnaire amoureux de l’Espagne » (Plon) en concluant ainsi : « Tant qu’il restera un Espagnol vraiment vivant, c’est-à-dire animé par la passion la plus sauvage, de la fureur de dépasser la réalité médiocre, un Espagnol habité d’une folie superbe- tant que cet homme existera, l’Espagne vivra. «
Un détail, le cante jondo est un pur fruit de l’Andalousie, à l’autre extrême de la péninsule. Cela dit, je veux bien croire que l’âpreté et la noirceur de l’univers d’un Zurbaran ou d’un Goya ont quelque chose à voir avec les ombres qui hantent certaines âmes andalouses…
Moi aussi je découvre et suis subjugué. Le Saint François!…
J’ai connu Zurbaran , il y a bien longtemps , lors de la visite de la ville de Guadalupe , dans le monastère , visite faite par les moines et nous avons même dîner et coucher dans le monastère , des soeurs s’occupaient de nous , chambre très spartiate , un lavabo , et les W.C dans le couloir , mais c’était l’époque. Sur le « Guide Michelin 2013 », on peut toujours voir du Zurbaran au Monasterio et je vois maintenant qu’il y a un Parador et je me demande si où nous avions couché, n’a pas été transformé en Parador , j’étais à l’époque impressionnée par le décor les immenses voûtes , et nos deux petis lits , c’était une tout autre époque …
Vendredi , en allant à la Rochelle , notre seul sujet de conversation fût Zurbaran et je me suis promis d’y retourner voir ses œuvres . Comme c’est drôle …
Je n’avais pas encore lu » les Soirées » du jour.
Faire passer tant d’émotions à travers si peu de couleurs et de tons, c’est de l’art à l’état brut. Magnifique !