« Michel Rostang père et filles célèbrent les vingt ans des bistrots d’à-côté ». La bouteille étiquetée trônait sur notre table, l’illuminant d’une douce lumière orangée. Nous étions attablés à L’Absinthe, fleuron de la chaîne des auberges chics lancée en 1987 par ce fils et petit-fils de cuisiniers de tradition. Ce bistrot ouvrit ces portes en 2004, l’information du patron est puisée aux bonnes sources du web.
1987, 2004, 2014… On s’interroge sur la date anniversaire mais qu’importe quand s’annoncent une cuisine bourgeoise mais inventive, une carte des vins à prix abordables et une ambiance café de la Belle Epoque source d’inspiration pour les poètes et les peintres impressionnistes.
La publicité n’a ce soir là que partiellement tenu ses promesses. Les ravioles sauce langoustines étaient certes sans reproche, taillées à la mesure d’une bouche gourmande, mais la ballerine de l’océan signait sa présence un peu lourdement d’une queue de crustacé décortiquée. On eut apprécié davantage de légèreté. Dommage quand chaque bulle de sauce mousseuse explose au palais comme on monte au paradis.
Un filet de St-Pierre sur lit d’oignons confits suivait, agrémenté d’une ratatouille. Le poisson à la chair délicate était impeccablement rôti et sa peau juste caramélisée. Mais où est le vent promis de modernisme dans ce banal rata de légumes, fût-il maison ? Chose curieuse, le saint poisson à la mine patibulaire et prognathe et aux nageoires hérissées d’épines s’appelle San Marco de l’autre côté des Pyrénées. On reste en famille apostolique. J’eus la surprise de le découvrir lors d’une improbable commande dans une taverne de pêcheurs de la côte ibère.
Mon compagnon avait choisi un tartare mixte de la mer composé de noix de St-Jacques et de dorade, l’émincé cru servi dans une coquille d’huître boudeuse. C’est dire si la portion était avant tout raisonnable ! Le mollusque a refusé de grandir mais l’immature a le bon goût d’offrir sa chair et déverser son iode sur le hachis qui emplit sa coquille. Aussi savoureux qu’ingénieux, à en espérer trouver une perle. Le trio iodé ainsi caparaçonné était arrimé à l’assiette sur une poignée de gros sel de mer. Un support préférable à la glace pilée, il épargne à l’huître la baignade de trop.
Après l’océan, le retour à la terre. Le tartare marin fit place à une entrecôte « bleue », cuisson o combien délicate, le froid de la couleur contrariant l’exigence de chaleur. Chacun a sa recette pour résoudre l’oxymore. Il en est une qui consiste à bien saisir la viande puis la laisser reposer un temps sur une palette de bois posée à même la poêle sur la source de chaleur. La viande peu à peu se réchauffe à l’intérieur sans pour autant continuer de cuire. L’entrecôte fut servie entourée de pommes grenailles fondantes. D’excellente facture… conformiste.
Le dressage des assiettes péchait par le même manque d’inspiration. A moins qu’il se fût agi d’écouler un surplus des toupets de fenouil accumulé en cuisine…
L’unique dessert commandé rendit superfétatoires les deux cuillères (non percées) qui l’accompagnaient. Le péché de gourmandise ne fut pas consommé avec cette compotée de poires coriaces cachant leur manque de saveur sous une mousse indéfinissable et sans grâce quoique piquetée de noisettes torréfiées. L’assiette s’ornait d’un triangle de pain qu’on eut dit de mie si l’on n’y avait décelé un goût d’amandes imperceptible. Seules les noisettes étaient goûteuses. Elles furent picorées avec le soin méthodique d’un écureuil faisant ses provisions pour l’hiver.
Deux flûtes de champagne et une demi-bouteille de vin contribuèrent à euphoriser la cène pour une addition de 134 euros. Aussi peu accessible que les rivages de Lampedusa.
Ce soir là, le grand blond avec une chaussure noire avait cédé son fauteuil ciré à une femme en escarpins de même couleur. Elle n’avait ni le regard évaporé, ni les pommettes vermillonnées de la buveuse d’absinthe qu’immortalisèrent Degas et Picasso.
L’Absinthe, 24 Place du Marché Saint-Honoré dans le premier arrondissement de Paris
Bref, un enterrement de première classe pour cette adresse que je raye donc en rouge sur mes tablettes…
Merci pour cette critique gastronomique !
J’habite face à « Dessirier », place du Maréchal Juin – les nostalgiques (ou ceux qui prédisent la fin de l’euro avant les crus de la Seine) qui parlent en anciens francs disent encore Place Pereire – et je m’en voulais de n’être qu’un pigiste payé comme un Pakistanais par un grand mensuel, et donc de ne pouvoir offrir un jour à ma douce compagne un repas chez Dessirier devenu la table de prestige de Michel Rostaing…
Grâce à vous, me voilà riche ! Jamais je ne tenterai l’expérience à 174 euros (ce qui doit faire le double chez Dessirier)…
Merci pour cet article « savoureux » qui vaut bien par sa qualité un bon repas virtuel !