Pour avoir « fauté » (couché avec un garçon sans être mariée), une adolescente irlandaise, Philomena Lee, accouche d’Anthony, le bébé du péché, dans un couvent de Roscrea. On n’est pas loin de Tipperary, dans l’Irlande catholique et pudibonde de 1952. Trois ans plus tard, Philomena se voit ravir le bambin, livré à un couple d’Américains en quête d’adoption. Un demi-siècle plus tard, elle confie son récit à un journaliste au chômage, Martin Sixsmith. Tous deux se mettent à la recherche de ce fils perdu outre-Atlantique. Lui pour en faire un article à sensation, elle pour retrouver le fruit de ses entrailles auquel elle n’a jamais cessé de penser.
De ce récit biographique écrit par Martin Sixsmith lui-même dans son livre « The lost child of Philomena Lee », Stephen Frears tire un film émouvant sur la chasteté féminine. Analysée du double point de vue des religieuses qui en font le vœu, des fidèles qui s’en affranchissent hors mariage. L’histoire court sur un demi-siècle, on revit en accéléré l’évolution des mœurs et de la société.
L’église catholique et ses thuriféraires ne sortent pas grandis de la projection, c’est un euphémisme. Mais toutes les religieuses du film ne sont pas cloîtrées à la même bannière, ce qui pourrait donner crédit à la science psychologique des prénoms… Sœur Claire éprouve de la compassion, fille de la charité, envers Philomena ; Sœur Hildegarde s’accroche au dogme de la souffrance inhérente au péché. La Bible ne commande-t-elle pas aux femmes d’enfanter dans la douleur ? La Vierge Marie n’a-t-elle pas mis Jésus au monde sans avoir éprouvé le plaisir de la chair ? Cette mère supérieure et convaincue de l’être s’avère si persuasive que Philomena s’apprête à passer le restant de ses jours dans la mortification pour avoir jadis connu un petit bonheur. Vivant sa souffrance comme une rédemption.
D’origine germanique, le prénom Hildegarde associe le savoir (gardan) au combat (hild)… Fut-il d’arrière garde : «Prêcher la chasteté est une incitation publique à la contre-nature. Mépriser la vie sexuelle, la souiller par la notion d’impureté, tel est le vrai péché contre l’esprit sain de la vie », ainsi parlait déjà le Zarathoustra de Nietzsche il y a plus d’un siècle. Notant que les femmes éprouvent le besoin d’enfants comme une apologie ou une pénitence. Le vœu de chasteté des religieuses – femmes en qui sommeillent des mères – peut s’avérer source de frustration, terreau de la méchanceté comme illustré dans le film. On ajoutera, perfide, qu’Anthony Lee ayant été cédé aux parents adoptifs contre des livres irlandaises sonnantes et trébuchantes, il y a lieu de s’interroger sur le respect du vœu de pauvreté également souscrit par les taiseuses de Roscrae…
S’il est poignant, le film du réalisateur des « Liaisons dangereuses » sait se faire léger et même drôle. Cocasse est le contraste entre les deux limiers en filature à Washington. Une catholique pratiquante face à un journaliste agnostique. Une mère dont le rejeton travailla aux Etats-Unis dans le camp des Républicains enquêtant aux côtés d’un Sherlock Holmes ancien conseiller du gouvernement travailliste du 10 Downing Street. Une femme nourrie de romans à l’eau de rose pour s’évader du quotidien face à un homme féru de réalités historiques… La gravité du sujet abordé n’exclut pas la légèreté du propos quand le film, en version originale, traite de l’homo et de la bissexualité (bi-curious).
Judi Dench campe une Philomena aux rides comme tracées au burin, têtue comme un hunter irlandais. Les larmes qui bordent ses yeux fendus comme des persiennes n’en franchissent jamais le seuil. Inutile ruisseau pour communiquer l’émotion quand le spectateur renifle déjà à petits coups dans son mouchoir. Steve Cogan fait un Martin Sixsmith énergique quoique souvent dépassé. Il gagne en compassion aux côtés de cette mère dépossédée qui sait où elle veut aller. Au point que leurs objectifs croisés finissent par se fondre en un chemin unique, qui nous vaut d’être captivés par ce drame peu banal. Sans gros moyens financiers, le film doit beaucoup à sa réalisation millimétrée, au cordeau, sans superflu ni artifices.
C’est aussi et surtout une belle histoire de pardon.
Face à ce drame, le journaliste est indigné, révolté et en grande colère.
Philomena, blessée au plus profond d’elle-même, est sereine.
Elle a pardonné, et depuis si longtemps.
Oui, mais on ne peut tout dire sur ce film dense, qui fait réfléchir sur de nombreuses questions.
J’en ai livré la version noire, la version rose met l’accent sur le pardon… jusqu’à un certain point : l’acceptation de la publication des faits.
Voilà en complément ma « version » de ce beau film parue sur le site Froggy’s Delight :
Ces dernières années, le cinéaste de « Prick up your ears », de « My Beautiful Laundrette » semblait en semi-retraite sur la question sociale, s’amusant à filmer sans perdre son talent des histoires sans beaucoup d’enjeux (« Tamara Drewe », « Lady Vegas ») ou préférant la satire type « Guignols » au film politique (« The Queen »).
Avec « Philomena », Stephen Frears a réveillé son regard et porté à l’écran une histoire forte qui met en cause la puissante église catholique irlandaise.
Tout au long de « Philomena », il va dénoncer les Tartuffe, les puissants, les conservateurs avec la fougue d’un jeune cinéaste qui a tourné son premier film en 1968.
Des politiciens britanniques à l’Église catholique, en passant par les « néo-cons » reaganiens ou bushiens, tous se donnent la main pour maintenir au gré des époques une société bloquée, dominée par une caste bien pensante absolument sans pitié pour les petits qu’elle tient sous sa coupe ou qu’elle manipule.
« Philomena » raconte l’histoire hélas vraie de ces filles mères irlandaises des années quarante et cinquante, « rééduquées » par des « bonnes » sœurs pour « expier leur péché de chair », et à qui, de surcroît, on a retiré leurs enfants pour les faire adopter par de riches américains, qui savaient alors être généreux avec l’Institution pourvoyeuse de bébés…
« Philomena » de Stephen Frears décrit une Irlande contemporaine de celle de « L’Homme tranquille » de John Ford. Elle en est la face sombre. La riante contrée fordienne, avec ces prêtres paillards et rubiconds, ses autochtones insouciants et compréhensifs, est bien loin de celle de Frears avec ses religieuses hystériques, calculatrices et très très peu charitables.
La force du film est de confronter un membre marginalisé de la nomenklatura, admirablement joué par Steve Coogan qui ressemble à un Jean Dujardin qui aurait eu du talent sans avoir un Oscar, au témoignage d’une de ces victimes du puritanisme mercantile de l’Église irlandaise.
Parfaite une fois de plus, Judi Dench est une vieille dame digne que le malheur n’a pas abattu et, divine surprise, quelqu’un qui a gardé la foi du charbonnier. On se doute que Frears se délecte de leur face-à-face à la fois « physique » et « métaphysique ».
L’athée qui pense bien, c’est-à-dire contre l’injustice faite à cette femme, se heurte au pardon chrétien de cette victime pour ses bourreaux. Il est en plein doute : maintenant que ce patricien connaît et estime Philomena, il sait qu’elle n’est pas bête, qu’elle n’aime pas son bourreau… mais qu’elle a une grandeur d’âme que cet intellectuel pur produit d’ « Oxbridge » ne supposait pas aux « gens de peu »…
Ce qui aurait pu n’être qu’une dénonciation manichéenne devient peu à peu une réflexion sur la complexité du monde. Mené sous une forme d’enquête, où l’on peut flâner autant que s’énerver, « Philomena » de Stephen Frears nécessitera un bon paquet de kleenex.
Habile, élégant, filmé par un sacré bon cinéaste, « Philomena » est une œuvre humaniste que l’on n’oubliera pas.
Riche commentaire sur un film qui ne laisse pas indifférent.
Foin de manichéisme, chacun des protagonistes fait un pas vers l’autre, c’est la beauté de l’échange humain.
très beau film, qui interpelle sur le poids de la religion: comment l’interprétation des textes religieux peut imposer des règles stupides et cruelles. C’est toujours d’actualité… Le moment du pardon est magnifique, plein d’émotion.