Elle l’avait choisi entre tous dans la jardinerie. Petit mais harmonieux. Son œil avait été attiré par sa silhouette gracieuse. Elle préférait adopter les végétaux jeunes et pleins de promesses, misant sur leur plus grande faculté d’adaptation à leur futur milieu. Son tronc bien pris de taille et son bouquet évasé étaient du meilleur effet. Elle était Lou sous le charme des palmes inclinées lui faisant comme la révérence… Déjà conquise.
Elle l’avait installé plein sud, à l’abri des vents violents venus de l’ouest, dans ce qu’elle appelait son jardin d’été. Il était planté en port isolé. Elle préférait les espèces solitaires plutôt que grégaires. Elle détestait ces palmiers qui défilent raides comme à l’armée le long de la promenade des Anglais. Elle abhorrait ceux dénudés bordant avec arrogance les avenues de Beverley Hill. Tous justes bons à servir de décor à un feuilleton télévisé.
Elle l’avait enraciné avec amour à la lune montante, priant Sainte Catherine de veiller sur sa croissance. Elle lui parlait tournant autour de lui telle une maman inquiète. Il se voyait prodiguer les meilleurs soins malgré le danger. Car il avait l’amour vache. Le tranchant des épines de son stype (tronc) lui coupa plusieurs fois le doigt. Et la pointe effilée d’une palme faillit l’éborgner. Elle redouta le pire lorsqu’il passa son premier hiver, le sachant plus fragile encore de la cime que des racines. Hantée par le gel de son organe vital (bourgeon apical), qui eût signifié la mort de la tige, elle l’avait chaussé de paille épaisse et emmitouflé dans plusieurs couches de voile d’hivernage. On eut dit Salomé exécutant la danse des 7 voiles les pieds engoncés dans la glèbe !
Il passait à la toise comme un enfant. Taille, périmètre, envergure. Elle tenait son carnet de santé surchargé de courbes et de graphiques abscons comme les calculs de racine carrée… Des racines qu’elle pensait manquer de nutriments, aussi les inondait-elle de purin. Fait maison bien sûr. L’environnement eut droit au comparatif olfactif des vapeurs nauséabondes issues de macérations de végétaux de toutes sortes, orties, presles, fougères… Le palmier eut aussi droit aussi aux engrais les plus divers : le sang séché provenant des meilleures enseignes de déchets médicaux, la corne de buffle et de gazelle, le compost personnalisé. Ne manquait que le souffre d’une lave refroidie, faute de proximité d’un volcan. Elle sondait régulièrement le cœur tourmenté du végétal, toujours aussi vert mais impénétrable. Elle traquait ses palmes où la moindre apparition d’une tâche brune eût signifié l’invasion d’un papillon marathonien. Dans ce jardin côtier face au Nouveau monde, il n’était pas à l’abri d’un débarquement inopportun.
Pour faire un arbre, mon Dieu que c’est long !, songeait-elle à le voir si petit. Et quand elle l’écoutait grandir, elle était Bulle : elle n’entendait que la voix de l’océan. Elle en vint à se rassurer comme elle pouvait. Petit, il offrait moins de prise au vent. Et puis il grandissait à « son » rythme préférant ouvrir grands ses bras avant de s’élever, signe d’une évidente végétale générosité.
Quand il eut franchi et même dépassé l’âge de raison, qu’elle avait fixé à sept ans, elle dut se rendre à l’évidence : sur les quelque 2 500 espèces de palmiers répertoriées, elle était tombée sur un nain, un chamaerops humilis. Une appellation qui, à elle seule, vaut humiliation. Un minus, une créature au bas de l’échelle de l’espèce. Son palmier ne mesurerait jamais plus de 2 mètres au lieu des 12 espérés. Dense et joufflu, il serait à peine plus grand qu’un bonzaï.
Dès lors, elle se mit à comparer « son » palmier à tous les palmiers rencontrés, immortalisés par le viseur cruel de son portable. Aucun ne valait la comparaison ! Au rayon vert, le sien faisait la gloire de son jardin. Elle en vintà redouter le pire, qu’il se mette à fuser ivre de banalité une fois atteint son diamètre maximal. Ce petit palmier lui avait enseigné la patience et a apporté la sagesse. Etre riche, c’est se satisfaire de ce qu’offre la nature.
Belle écriture.