Il a été écrit qu’Henri Rousseau plus connu comme « le Douanier Rousseau » avait un intérêt pour le spiritisme. Dans le numéro vingt des Soirées de Paris, paru en janvier 1914 et presque entièrement consacré au peintre « naïf », Guillaume Apollinaire précise que de surcroît, il avait vraiment, dans sa vie, affaire aux fantômes.
En page huit de la revue, Guillaume Apollinaire évoque le sujet en précisant d’abord que Rousseau avait connu la guerre d’abord au Mexique puis lors de sa mobilisation à Dreux en 1870. Bien qu’il soit notifié dans la biographie du peintre qu’il n’avait participé à « aucun combat », Guillaume Apollinaire parle néanmoins d’un fait d’armes de l’artiste, alors sergent, qui aurait épargné à la ville de Dreux, « les horreurs de la guerre civile », et qu’il avait même été acclamé par la population aux cris de « vive le sergent Rousseau ». Malheureusement, Apollinaire n’en dévoile pas davantage.
Mais son rapport aux fantômes, raconté par Apollinaire est étonnant : « il en avait rencontré partout et l’un d’entre eux l’avait tourmenté pendant plus d’une année du temps où il était à l’octroi. Le brave Rousseau était-il en faction, son revenant familier se tenant à dix pas de lui, le narguant, lui faisant des pieds de nez, lâchant des vents puants qui donnaient la nausée au factionnaire. A plusieurs reprises, Rousseau essaya de l’abattre à coups de fusil ; mais un fantôme ne peut plus mourir. Et s’il essayait de le saisir, le revenant s’abîmait dans le sol et reparaissait à une autre place… ».
Ce numéro vingt des Soirées de Paris est devenu, la faute aux années, un livre de fantômes. Il s’y trouve aussi en noir et blanc, plusieurs toiles de Rousseau dont «Moi-même, Portrait-Paysage» appartenant à la «collection Jastrebzoff» c’est à dire Jean Cérusse mais aussi Serge Férat, directeur artistique et mécène des Soirées.
L’histoire de Rousseau, longuement dépeinte par Apollinaire est complétée par une longue et éloquente correspondance entre le peintre et le poète, mais aussi par une adresse pénible à une certaine Léonie qu’il aimait tant et qui ne vint même pas à son enterrement en septembre 1910.
Heureusement que ce numéro vingt se termine par la narration du banquet, autrement plus gai, consacré à Rousseau et organisé en 1908 dans l’atelier même de Picasso.
« Le Douanier, raconte Maurice Raynal (critique d’art, l’un des promoteurs du cubisme), faisait danser les dames au son de son violon; un accordéon, puis un harmonium étaient venus le seconder, les têtes tournaient, le petit jour naissait, les bouteilles finissaient et quelques uns des invités s’étaient déjà esquivés ».
Maurice Raynal admet ne plus souvenir comment la soirée s’était terminée, chose bien banale. Mais il lui revient néanmoins qu’un invité danois débarqué deux jours après la fin avait pu de son côté vraiment bénéficier du banquet car son arrivée coïncida avec la livraison bien trop tardive des mets commandés pour la fête.
Ce numéro des Soirées avait été tiré sur les presses de l’imprimerie Union, 48 BD Saint-Jacques.
Lire aussi à propos de la tombe de Rousseau l’article rédigé par Gérard H. Goutierre et relire d’autre part, ci-dessous, le merveilleux poème composé par Apollinaire à la mort de l’ami qui lui fit deux fois son portrait en chantant, pour le remercier de sa patience durant la pose.
Gentil Rousseau tu nous entends
Nous te saluons
Delaunay sa femme Monsieur Queval et moi
Laisse passer nos bagages en franchise à la porte du ciel
Nous t’apporterons des pinceaux des couleurs des toiles
Afin que les loisirs sacrés dans la lumière réelle
Tu les consacres à peindre comme tu tiras mon portrait
La face des étoiles
Guillaume Apollinaire (Les Soirées de Paris numéro vingt).
Des invités qui partent trop tôt, des mets qui arrivent 2 jours après la fête, et des absent(e)s aux enterrements, toutes ces manies de fantômes revisitent d’une couleur douce-amère finalement bien plaisante l’image simpliste que l’on se faisait du « gentil douanier »… Merci pour cet éclairage.